CONSTANTINE
(département de Constantine, arrondissement de Constantine).
Coupé d'azur et de gueules, au
chevron d'argent brochant sur la partition, accompagné en pointe d'un
poisson aussi d'argent posé en fasce.
Couronne murale de 5 tours d'or chargée d'un cheval gai courant contourné de sable.
Constantine est le nouveau nom donné à
la ville de Cirta en l'honneur de l'empereur Constantin qui la fit
reconstruire après sa destruction au cours d'une guerre civile. Dernière
grande ville algérienne à résister aux Français, Constantine tombe en
1837, et la municipalité est créée en 1854. Si la date de composition
des armoiries n'est pas connue, elles figurent déjà sur le fronton de
l'hôtel de ville, édifié entre 1895 et 1902, et inauguré l'année
suivante.
La symbolique de la composition est
quelque peu brouillée par les relectures qui en ont été faites. D'après
R. Le Viavant, historien de Constantine, l'azur représente le ciel et le
gueules la terre rouge d'Afrique et, plus spécifiquement, les gorges du
Rhumel (décrites par Guy de Maupassant telles un "abîme rouge comme si
les flammes éternelles l'avaient brûlé"). Le chevron d'argent
représenterait le proche confluent, en amont, des Oueds Rhumel et Bou
Merzoug. L'auteur ajoute que certains y ont vu une évocation des éperons
des cavaliers arabes. On nous a rapporté également l'hypothèse d'une
figuration du coude en équerre que dessine le Rhumel en contrebas de la
ville. Quant au poisson, R. Le Viavant préconise de ne pas y voir un
symbole chrétien, mais une allusion au Rhumel, particulièrement riche en
barbeaux. Pour brouiller encore les pistes, nous avons noté plus
récemment sous la plume d'Elisabeth Fechner que le poisson était "le
symbole récurrent de la culture juive".
Il n'est pas interdit de penser que
R. Le Viavant a cherché à atténuer la dimension coloniale de ces
armoiries : il omet de préciser que l'écu est aux couleurs nationales
françaises, et sa réfutation de la dimension chrétienne de la symbolique
du poisson semble également aller en ce sens. Face à cette profusion
d'interprétations, il convient de s'efforcer de retrouver quelles ont pu
être les motivations symboliques originelles de cette composition.
Il nous semble raisonnable d'admettre
qu'à l'origine, les armoiries semblent être une évocation topographique
de la ville : perchée sur un mont évoqué par le chevron, entre des
gorges rouges, avec à ses pieds les flots du Rhumel peuplé de poissons.
Que le chevron évoque la confluence ou le coude marqué par les eaux est
également possible ; Constantine se distingue toutefois davantage à la
vue du visiteur par son site accidenté. Le tout est aux couleurs de la
France, et il ne nous paraît pas saugrenu d'imaginer également que les
colons cherchèrent à légitimer leur présence en rappelant, par la
présence d'un poisson tiré de la symbolique chrétienne antique, que
Constantin fut le premier empereur romain disciple du Christ.
Bien plus que par le chevron, c'est
sur la couronne qu'il faut rechercher une évocation des cavaliers
arabes : le cheval à robe noire rappelle en effet la légende de la
célèbre jument noire Halilifa, qui par son instinct, sa vigueur et son
galop, contribua à la délivrance de Constantine assiégée par les
Tunisiens en 1700. Elle parvint en effet à s'échapper de la ville
assiégée et, après avoir remonté le Rhumel, elle gagna Alger avec son
cavalier. Là encore, une autre lecture se propose d'y voir une allusion
aux haras locaux. Les deux explications ne s'excluent pas. C'est à tort
que la jument a été parfois représentée d'argent et tournée dans le même
sens que le poisson : c'est le fait qu'elle soit contournée qui permet
en effet d'évoquer sa fuite.
Quant à la couronne, attribut
héraldique normal des villes, elle a également été perçue comme une
évocation de l'antique Cirta, ceinte de murailles.
Ces armoiries ont connu quelques
variantes dans leur représentation. La plus notable concerne le
chevron : représenté en principe brochant sur l'azur et le gueules, il
apparaît parfois sur l'azur seul, sans mordre sur le gueules. Cette
variante figure notamment dans l'édition de 1929 du Larousse du XX e siècle (ill. ci-dessous). On retrouve cette erreur sur les timbres aux armes de Constantine émis entre 1942 et 1945.
En revanche, dans la nouvelle série
d'armoiries de villes algériennes dessinée par Robert Louis en 1947,
l'écu, placé sous un arc outrepassé d'inspiration mauresque, est
correctement orné d'un chevron brochant sur le coupé. L'erreur survivra,
cependant : un plan de Constantine daté de 1951, et qui paraît
s'inspirer du dictionnaire Larousse en aggravant ses inexactitudes,
place le chevron amaigri sur un chef d'azur. Selon toute vraisemblance,
l'origine de cette variante est à chercher. au fronton de l'hôtel de
ville ! En effet, le sculpteur qui a réalisé les armes a cherché à créer
des effets de relief : la moitié supérieure d'azur est figurée plus
épaisse que la partie inférieure de gueules. Quant au chevron, il suit
le dénivelé créé : ainsi, la partie placée sur l'azur est, elle aussi,
plus épaisse que les deux extrémités inférieures, placées en retrait
sous la ligne du coupé, sur le gueules. Pour peu que la peinture des
armes soit délavée, un observateur peu attentif aux subtilités de la
sculpture ne verra qu'avec peine les deux pointes inférieures, et
conclura que le chevron prend appui sur la ligne du coupé.
Parmi les autres variantes observées, signalons encore les mutations d'une espèce à l'autre du poisson.
Sources :
Archives nationales, Service des sceaux, Fonds d'héraldique municipale française , carton Doubles provinces, pays et vallées, pays étrangers , fiche "Constantine".
Carte des nouvelles limites administratives en Algérie (décret du 14 avril 1958), éd. Jacques Gandini, Nice.
AUGÉ, Paul [dir.], Larousse du XX e siècle , Larousse, Paris, 1929, t. II, p. 431.
BRUAND, Théo, "Héraldique : Constantine", dans Pieds-Noirs d'hier et d'aujourd'hui n° 82, sept. 1997.
FECHNER, Elisabeth, Là-bas la France. Souvenirs d'une Algérie heureuse , Calmann-Lévy, Paris, 2003, p. 123.
LE VIAVANT, R. : De Cirta à Constantine de 1836 à 1962, ACEP Ensemble éditeur, Montpellier.
YVERT et TELLIER, Catalogue de timbres postes , t. II, colonies françaises et territoires d'Outre-Mer , Amiens, Yvert et Tellier, 1999, p. 49, 50.
http://www.constantine.free.fr/LaVille/armoiries.htm
Informations recueillies auprès
d'Adnane BAKIR, Rafik BENCHERAIET, Chafika Nadira BOUMECHAL, Serge
GILARD et Jean-Pierre HOLLENDER.
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