Seul le Maroc a une loi explicite qui condamne les musulmans qui rompent le jeune. L'interprétation de certaines lois en Algérie et en Tunisie permet de punir les déjeuneurs.
Question posée par Martin Issou le 27 mai 2018
Bonjour,
Nous avons raccourci votre question: «Que dit la loi en
Algérie, Maroc et Tunisie concernant les personnes qui ne
souhaiteraient pas faire ramadan ? Ces personnes sont-elles libres ?»
Vous désirez savoir s’il existe des textes de lois qui
obligent les habitants de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie à
respecter le jeûne du ramadan ou s’ils sont autorisés à déjeuner sans
connaître de représailles juridiques. Nous avons donc vérifié pour les
trois pays demandés.
Algérie
Dans son article «Les fattara du ramadhân au Maghreb ou l’hétéropraxie religieuse au prisme des normes sociales et juridiques»,
le chercheur à l’institut de recherches et d’études sur les mondes
arabes et musulmans, Stéphane Papi, s’est intéressé aux fattara,
c’est-à-dire aux personnes qui rompent volontairement le jeûne. Il note
qu’ «en Algérie, aucun texte ne pénalise la rupture du jeûne en tant
que telle, ce qui n’a pas empêché l’interpellation, le jugement, voire
la condamnation de plusieurs fattara, sur la base d’une disposition du
Code pénal punissant le dénigrement, par tous moyens, des ‘dogmes ou
préceptes de l’Islam’». Cette disposition correspond l’article
Article 144 bis 2, critiqué par les associations de défense des libertés
individuelles, qui stipule: «Est puni d’un emprisonnement de trois à
cinq ans et d’une amende de 50.000 à 100.000 dinars ou de l’une de ces
deux peines seulement quiconque offense le prophète (paix et salut sur
lui) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de
l’islam que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout
autre moyen».
Le chercheur Stéphane Papi souligne: «alors que ce
texte concernait principalement les journalistes, les juges l’ont
interprété très largement pour atteindre une cible différente que celle
initialement visée par le législateur. En vertu cette interprétation, le
fait de rompre le jeûne en public constituerait une offense à l’Islam,
ce qui, si l’on suit ce raisonnement, reviendrait à considérer comme
d’autant plus offensant le fait, par exemple, de ne pas effectuer les
cinq prières quotidiennes, cette prescription constituant non plus le
quatrième mais le deuxième pilier de l’Islam…»
En résumé: S’il n’existe pas de texte
interdisant clairement la rupture du jeûne, l’article 144 bis 2 du Code
pénal, qui porte sur l’offense à Islam, peut être utilisé pour punir les
personnes qui déjeunent durant le ramadan en Algérie.
Maroc
Le Huffington Post Maghreb considère les histoires
de citoyens arrêtés ou condamnés pour une cigarette ou de verres d’eau
ou de jus d’orange consommés en pleine journée comme étant un des marronniers
de la presse marocaine. À l’origine de ces arrestations, on trouve
l’article 222 du Code pénal marocain. Clairement, il prévoit que «celui
qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane,
rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du
ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni de
l’emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 200 à 500 dirhams.»
L’article est critiqué par les associations de défense des
libertés individuelles, mais aussi par certains juristes qui considèrent
les termes «notoirement» et «ostensiblement» comme flous et donc dangereux juridiquement.
En résumé: l’article 222 du Code pénal marocain interdit aux musulmans de déjeuner durant le Ramadan.
Tunisie
Contactés par CheckNews, nos partenaires tunisiens du site d’information tunisien Nawaat
nous renvoient vers une interview qu’ils ont menée avec Wahid
Ferchichi, professeur de droit public et président de l’Association
Tunisienne de Défense des Libertés Individuelles (ADLI). Le 15 mai 2018,
le Collectif Civil pour les Libertés Individuelles, regroupant 37
associations (dont ADLI) avait adressé une lettre ouverte
aux autorités tunisiennes, pour protester contre les poursuites
engagées contre les non-jeûneurs durant le mois de Ramadan et en
réaction aux déclarations autoritaires du ministre de l’Intérieur, Lotfi
Brahem. Le site d’information note également que lors du Ramadan en
2017 : «des citoyens ont été condamnés à un mois de prison pour
avoir mangé ou fumé en public en vertu de l’article 226 du Code pénal
réprimant ‘l’attentat à la pudeur’».
Le juriste indique: qu’«il n’y a aucune loi en Tunisie,
dans le sens d’un texte voté et adopté par le parlement, qui limite ou
réglemente la fermeture des cafés et des restaurants. Pour les fermer,
on se base aujourd’hui sur une prétendue circulaire qui date de
juillet 1981. Et il faut faire attention, cette circulaire n’existe pas.
Nous avons demandé au ministère de l’Intérieur de publier cette
dernière pour que nous puissions voir exactement quelles sont les
conditions, et pour que nous puissions l’attaquer par la suite devant la
justice. Le ministère de l’Intérieur ne l’a pas publié. Nous avons de
forts soupçons que cette circulaire n’existe pas, ou du moins, elle
n’existe plus».
La circulaire de juillet 1981 à laquelle Wahid Ferchichi fait référence est ladite «circulaire Mzali»,
du nom du Premier ministre d’Habib Bourguiba de l’époque. Selon
Stéphane Papi, cette réglementation est peu claire et contestée. Il note
que la circulaire Mzali «qui préconisait la fermeture des bars et
restaurants ainsi que la vente d’alcool pendant le ramadhân avait
suscité de telles protestations qu’Habib Bourguiba en personne avait dû
l’annuler. Elle n’est donc, a priori, plus applicable. Il est également
parfois fait référence à un arrêté du Gouverneur de Tunis datant de plus
de trente années qui interdirait de manger et boire en public. Ce flou
juridique amène plusieurs juristes à s’interroger soit sur l’existence
de textes pertinents, soit sur leur applicabilité, une circulaire devant
être fondée sur une norme juridique supérieure, inexistante en
l’espèce.»
Le journal Nawaat nous indique que «dans la pratique,
la majorité des cafés et restaurants sont fermés mais il y a certains
qui travaillent normalement tout en se faisant discrets (pas de
terrasses par exemple).»
En résumé: si les associations de défense des
libertés individuelles soulignent qu’il n’existe pas de loi interdisant
de déjeuner durant le mois de Ramadan, un flou juridique autour de la
circulaire Mzali de 1981 et l’usage de l’article 226 du Code pénal
servent aux autorités à punir les déjeuneurs.Cordialement
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