jeudi 7 juin 2018

Que dit la loi en Algérie, Maroc et Tunisie pour les personnes qui ne veulent pas faire ramadan ?

Par Jacques Pezet
Des Algériens dansent dans une discothèque spécialement aménagée durant le mois de ramadan sur une jetée du port d'Alger, le 13 juillet 2015 Photo FAROUK BATICHE. AFP

Seul le Maroc a une loi explicite qui condamne les musulmans qui rompent le jeune. L'interprétation de certaines lois en Algérie et en Tunisie permet de punir les déjeuneurs.

Question posée par Martin Issou le 27 mai 2018
Bonjour,
Nous avons raccourci votre question: «Que dit la loi en Algérie, Maroc et Tunisie concernant les personnes qui ne souhaiteraient pas faire ramadan ? Ces personnes sont-elles libres ?»
Vous désirez savoir s’il existe des textes de lois qui obligent les habitants de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie à respecter le jeûne du ramadan ou s’ils sont autorisés à déjeuner sans connaître de représailles juridiques. Nous avons donc vérifié pour les trois pays demandés.

Algérie

Dans son article «Les fattara du ramadhân au Maghreb ou l’hétéropraxie religieuse au prisme des normes sociales et juridiques», le chercheur à l’institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans, Stéphane Papi, s’est intéressé aux fattara, c’est-à-dire aux personnes qui rompent volontairement le jeûne. Il note qu’ «en Algérie, aucun texte ne pénalise la rupture du jeûne en tant que telle, ce qui n’a pas empêché l’interpellation, le jugement, voire la condamnation de plusieurs fattara, sur la base d’une disposition du Code pénal punissant le dénigrement, par tous moyens, des ‘dogmes ou préceptes de l’Islam’». Cette disposition correspond l’article Article 144 bis 2, critiqué par les associations de défense des libertés individuelles, qui stipule: «Est puni d’un emprisonnement de trois à cinq ans et d’une amende de 50.000 à 100.000 dinars ou de l’une de ces deux peines seulement quiconque offense le prophète (paix et salut sur lui) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’islam que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen».
Le chercheur Stéphane Papi souligne: «alors que ce texte concernait principalement les journalistes, les juges l’ont interprété très largement pour atteindre une cible différente que celle initialement visée par le législateur. En vertu cette interprétation, le fait de rompre le jeûne en public constituerait une offense à l’Islam, ce qui, si l’on suit ce raisonnement, reviendrait à considérer comme d’autant plus offensant le fait, par exemple, de ne pas effectuer les cinq prières quotidiennes, cette prescription constituant non plus le quatrième mais le deuxième pilier de l’Islam…»
En résumé: S’il n’existe pas de texte interdisant clairement la rupture du jeûne, l’article 144 bis 2 du Code pénal, qui porte sur l’offense à Islam, peut être utilisé pour punir les personnes qui déjeunent durant le ramadan en Algérie.

Maroc

Le Huffington Post Maghreb considère les histoires de citoyens arrêtés ou condamnés pour une cigarette ou de verres d’eau ou de jus d’orange consommés en pleine journée comme étant un des marronniers de la presse marocaine. À l’origine de ces arrestations, on trouve l’article 222 du Code pénal marocain. Clairement, il prévoit que «celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni de l’emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 200 à 500 dirhams.»
L’article est critiqué par les associations de défense des libertés individuelles, mais aussi par certains juristes qui considèrent les termes «notoirement» et «ostensiblement» comme flous et donc dangereux juridiquement.
En résumé: l’article 222 du Code pénal marocain interdit aux musulmans de déjeuner durant le Ramadan.

Tunisie

Contactés par CheckNews, nos partenaires tunisiens du site d’information tunisien Nawaat nous renvoient vers une interview qu’ils ont menée avec Wahid Ferchichi, professeur de droit public et président de l’Association Tunisienne de Défense des Libertés Individuelles (ADLI). Le 15 mai 2018, le Collectif Civil pour les Libertés Individuelles, regroupant 37 associations (dont ADLI) avait adressé une lettre ouverte aux autorités tunisiennes, pour protester contre les poursuites engagées contre les non-jeûneurs durant le mois de Ramadan et en réaction aux déclarations autoritaires du ministre de l’Intérieur, Lotfi Brahem. Le site d’information note également que lors du Ramadan en 2017 : «des citoyens ont été condamnés à un mois de prison pour avoir mangé ou fumé en public en vertu de l’article 226 du Code pénal réprimant ‘l’attentat à la pudeur’».
Le juriste indique: qu’«il n’y a aucune loi en Tunisie, dans le sens d’un texte voté et adopté par le parlement, qui limite ou réglemente la fermeture des cafés et des restaurants. Pour les fermer, on se base aujourd’hui sur une prétendue circulaire qui date de juillet 1981. Et il faut faire attention, cette circulaire n’existe pas. Nous avons demandé au ministère de l’Intérieur de publier cette dernière pour que nous puissions voir exactement quelles sont les conditions, et pour que nous puissions l’attaquer par la suite devant la justice. Le ministère de l’Intérieur ne l’a pas publié. Nous avons de forts soupçons que cette circulaire n’existe pas, ou du moins, elle n’existe plus».
La circulaire de juillet 1981 à laquelle Wahid Ferchichi fait référence est ladite «circulaire Mzali», du nom du Premier ministre d’Habib Bourguiba de l’époque. Selon Stéphane Papi, cette réglementation est peu claire et contestée. Il note que la circulaire Mzali «qui préconisait la fermeture des bars et restaurants ainsi que la vente d’alcool pendant le ramadhân avait suscité de telles protestations qu’Habib Bourguiba en personne avait dû l’annuler. Elle n’est donc, a priori, plus applicable. Il est également parfois fait référence à un arrêté du Gouverneur de Tunis datant de plus de trente années qui interdirait de manger et boire en public. Ce flou juridique amène plusieurs juristes à s’interroger soit sur l’existence de textes pertinents, soit sur leur applicabilité, une circulaire devant être fondée sur une norme juridique supérieure, inexistante en l’espèce.»
Le journal Nawaat nous indique que «dans la pratique, la majorité des cafés et restaurants sont fermés mais il y a certains qui travaillent normalement tout en se faisant discrets (pas de terrasses par exemple).»
En résumé: si les associations de défense des libertés individuelles soulignent qu’il n’existe pas de loi interdisant de déjeuner durant le mois de Ramadan, un flou juridique autour de la circulaire Mzali de 1981 et l’usage de l’article 226 du Code pénal servent aux autorités à punir les déjeuneurs.
Cordialement
Jacques Pezet
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