“Nous avons l’habitude de ces sempiternelles batailles idéologiques autour des feuilletons du ramadan”, écrit l’éditorialiste Abderrahman Al-Rached dans le quotidien saoudien Asharq Al-Awsat. Cette année, c’est le feuilleton Al-Assouf (“Le Tourbillon”) qui est au centre de toutes les discussions dans le pays.
Il est diffusé sur la chaîne saoudienne MBC, et le rôle principal est tenu par Nasser Al-Qassabi, le trublion qui depuis des années agite la scène médiatique avec des films abordant les tabous de la société.
Le héros incarné par ce dernier est montré évoluant dans différentes situations de la vie quotidienne au début des années 1970, dont certaines contrastent avec le présent. À travers lui, la série “retrace les principaux tournants auxquels ont assisté nos aînés, tels que le cinéma, auquel ils accordaient beaucoup d’importance puisque les jeunes organisaient des projections dans les maisons et les cours des villas”, souligne ainsi le grand quotidien de Djeddah Okaz.
Une vision du passé qui s’attire des critiques de part et d’autre de l’échiquier politique.

Du pain bénit pour le prince héritier

“Les extrémistes critiquent l’œuvre parce qu’ils y voient une tentative de détruire ce qu’ils ont construit. Et ils ont bien raison, écrit l’éditorialiste d’Asharq Al-Awsat. Ils sont d’autant plus remontés que cela coïncide avec une politique consistant à renouer avec la période d’avant 1979, quand nous étions une société tout à fait normale, avec ses qualités et ses défauts.”
En effet, Le Tourbillon aborde la période charnière de l’histoire saoudienne, juste avant la montée du conservatisme religieux et tous les changements économiques, sociétaux et religieux qui ont par la suite donné la prééminence aux hommes de religion”, explique le site de la chaîne de télévision qatarie Al-Jazira.
Or le propos s’inscrit parfaitement dans le projet politique du prince héritier Mohammed ben Salmane, qui en avait résumé la philosophie générale en octobre 2017 lors d’un forum d’investisseurs étrangers réunis dans le royaume : “En Arabie Saoudite, et dans toute la région, un projet de réislamisation s’est répandu depuis 1979 pour diverses raisons qu’on ne va pas rappeler ici maintenant. Mais nous n’étions pas comme ça. Nous allons simplement revenir à ce que nous étions avant, à un islam du juste milieu, modéré, ouvert sur le monde, sur toutes les religions et sur l’ensemble des traditions et des peuples.”
“La lumière du soleil aveugle ceux qui ont vécu dans des cavernes pendant des décennies, mais à la fin, la vérité éclate, écrit sur Twitter l’écrivain saoudien Turki Al-Hamad, fervent adepte de la politique du prince héritier. Al-Assouf montre que notre société avait jadis été normale, avec tout ce que cela comporte d’aspects positifs et négatifs.”
Faux, lui répond Madawi Al-Rasheed, une opposante vivant en exil à Londres. “J’ai vécu en Arabie Saoudite, et déjà à l’époque nous ne sortions qu’en abaya [un tissu noir qui couvre entièrement le corps des femmes]. Et ce n’est pas vrai qu’il y avait des cinémas ou des théâtres. Il y avait des moutons qui se promenaient dans les rues des quartiers.”

Une “falsification de l’histoire” ?

Un autre opposant installé à l’étranger, un certain Omar, très actif sur Twitter, dénonce un projet de “falsification de l’histoire”. Et ce à l’aide “de la chaîne MBC [une chaîne satellitaire panarabe à capitaux saoudiens] et de l’acteur Nasser Al-Qassabi, les armes médiatiques les plus puissantes du pays” :
Il s’agit de faire en sorte que les gens pensent que nous aimons tous la vie normale : chanter, danser, faire la fête… sauf qu’il y a eu le mouvement de réislamisation qui est arrivé pour nous prendre en otage. Juste pour rappel : ce mouvement de réislamisation, c’est le régime qui l’a utilisé et qui s’en est servi. Même si aujourd’hui il lui tourne le dos.”
Mais même à l’intérieur du pays, certains éditorialistes se montrent quelque peu gênés par les thèmes abordés. Ainsi, dans un autre article d’​Okaz, un journal pourtant très libéral, on peut lire :
ll aurait fallu dire que c’est interdit aux moins de 18 ans. Après le premier épisode, où une femme abandonne un nouveau-né sur le seuil d’une mosquée, je pensais être au bout des surprises. Mais le deuxième épisode allait me réserver une scène encore plus embarrassante. À savoir celle où l’on voit le héros qui, de nuit, sort de la maison de sa voisine. En voyant cela, mon fils m’a regardé, puis m’a demandé : ‘C’est comme ça que vous vous comportiez à l’époque ?’”
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