mardi 11 juillet 2017


Les chiffres sont impitoyables : 85 183 migrants ont été secourus au large des côtes libyennes et débarqués en Italie depuis le 1er janvier, soit 20 % de plus qu’en 2016 à la même période. Dans le même temps, au moins 2 150 personnes sont mortes en mer. Face à cet afflux et alors que les structures d’hébergement sont arrivées à saturation, fin juin, Rome a menacé de bloquer l’entrée de ses ports aux bateaux des ONG non italiennes transportant des migrants.

Quelques jours plus tard, le ministre italien de l’intérieur, Marco Minniti, renchérissait et disait espérer – sans trop y croire – que l’Espagne, la France et d’autres pays lui viendront en aide, en acceptant l’accostage de certains navires.

« Très grande préoccupation »

La question a été débattue lors d’une réunion informelle des ministres de l’intérieur des Vingt-Huit, à Tallinn, en Estonie, jeudi 6 juillet. A l’issue de la journée, le ministre estonien de la justice, Andres Anvelt, et le commissaire européen aux migrations et affaires intérieures, Dimitris Avramopoulos, l’ont martelé : « L’Italie n’est pas seule, nous sommes à ses côtés. » Et, dans une déclaration écrite, l’Estonie a souligné que « la situation en Méditerranée centrale et la pression qui en résulte sur l’Italie sont une source de très grande préoccupation ».
Dans le même temps, jeudi, s’est tenue à Rome une conférence ministérielle des « pays de transit » (les voisins de la Libye) en présence des chefs des diplomaties française et italienne. Lors d’un point presse, Jean-Yves Le Drian a réaffirmé le soutien de la France à l’Italie ainsi que sa volonté d’« élaborer les prémisses d’une réponse européenne » à la crise.
Reste que les demandes de Rome, à la fois concrètes et hautement symboliques, ne seront pas satisfaites. Particulièrement la requête de débarquer les navires ailleurs qu’en Italie, qui avait disparu de l’ordre du jour jeudi, après une fin de non-recevoir générale.
Les ONG elles-mêmes avaient souligné les difficultés pratiques d’une telle éventualité : des bateaux accueillant parfois plus de 1 000 migrants ne peuvent pas parcourir des centaines de milles supplémentaires sans courir de graves risques de sécurité.
Pour apaiser le gouvernement italien, Paris et Berlin ont exhorté, le 2 juillet, leurs partenaires européens à agir. Les ministres de l’intérieur français, allemand et italien proposaient une série de mesures : un renforcement de la stratégie européenne des retours, un développement des contrôles au sud de la Libye, un soutien du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies et de l’Organisation internationale des migrations pour améliorer les infrastructures d’accueil en Libye.
Les ministres français et allemand ont évoqué, par ailleurs, une augmentation des efforts de « relocalisation ». La Commission européenne mise sur la prise en charge de 1 500 personnes par mois. Berlin pourrait passer de 500 personnes chaque mois à 750, Paris de 50 à 200. Dans la même logique, Bruxelles a fait à son tour une série de propositions, consistant en grande partie en un rappel de projets antérieurs, et a annoncé le déblocage de 46 millions d’euros pour les autorités libyennes. L’Italie devrait recevoir 35 millions d’euros pour une aide d’urgence, tandis que les Etats de l’UE sont invités à réalimenter pour 2018, à hauteur de 200 millions d’euros, un fonds pour l’Afrique.
Mais, le 2 juillet, les ministres français, allemand et italien ont surtout suggéré deux pistes : la définition d’un « code de conduite » pour les ONG et un soutien accru aux gardes-côtes libyens. Ce code, présenté par Bruxelles comme un moyen d’aboutir à une « collaboration plus rationnelle » et qui doit être élaboré par l’Italie, répond aux reproches formulés depuis plusieurs mois contre les ONG, accusées de créer, par leur présence au large de la Libye, un « effet d’aspiration », devenant ainsi les complices objectifs des trafiquants d’êtres humains.
Les associations répondent qu’elles n’ont pas le choix, vu que leur priorité est de sauver des vies, et qu’elles travaillent en fonction des directives du Centre de coordination des secours en mer (MRCC) de Rome.
Concrètement, il s’agirait d’interdire le transbordement de migrants sur d’autres navires que ceux qui les recueillent, d’obliger les ONG à la transparence sur leur personnel et leur financement et de les empêcher de croiser dans certaines zones. Le transpondeur des embarcations devra être branché en permanence pour que les navires soient constamment localisés.
« Au lieu de s’en prendre aux ONG, les Etats devraient surtout s’intéresser aux gardes-côtes libyens, accusés d’actes de contrebande et d’avoir tiré sur des migrants », objecte de son côté l’eurodéputé Vert italien Marco Affronte. Les interventions de ces unités mettent effectivement en péril les migrants, affirme Amnesty International, dans un rapport diffusé jeudi. L’organisation évoque, comme d’autres, les liens entre ces unités formées, financées et équipées par l’UE et les passeurs.
Par ailleurs, plusieurs témoignages de mauvais traitements aux personnes récupérées et ramenées en Libye ont été rapportés. La légitimité même de l’action libyenne dans les eaux internationales fait l’objet d’abondantes discussions juridiques. En effet, les conventions régissant le droit de la mer prévoient que les naufragés secourus dans les eaux internationales soient débarqués « en lieu sûr ». Or les témoignages sur les conditions effroyables de détention des migrants en Libye (violences, viols et tortures systématiques) permettent de douter que ce critère puisse être considéré comme rempli.
Ces doutes, ainsi que l’absence d’un pouvoir solide et incontesté dans le pays, n’empêchent pas la Commission européenne d’annoncer qu’elle souhaite établir à Tripoli, en 2018, un centre de coordination des secours en mer. Ce centre superviserait une zone allant de la Libye à la Grèce, en passant par l’Espagne.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/07/06/crise-migratoire-les-europeens-disent-vouloir-aider-l-italie-mais-sans-s-engager-trop-loin_5156661_3214.html#dyLxWR0ccwJRaMDX.99

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire