Le Maroc demande à réintégrer l’Union africaine : une défaite diplomatique ?
Le roi du Maroc Mohamed VI a adressé,
dimanche 17 juillet, une lettre aux dirigeants africains, formulant
clairement le désir du royaume chérifien de réintégrer l’organisation de
l’Union africaine (UA).
Défaite du Maroc ou victoire de l’Algérie ?
Après avoir quitté l’institution
panafricaine avec fracas en 1984 pour protester contre la reconnaissance
du Sahara Occidental, le Maroc change de stratégie et d’approche. La
politique de la « chaise vide » n’a pas porté ses fruits, poussant le
voisin de l’Ouest à tenter de revenir, par la « petite porte », au sein
des États africains.
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Une demande qui sonne, malgré la
tentative marocaine de sauver la face, comme une défaite politique et
diplomatique. Tout d’abord, Mohamed VI espère revenir dans une
organisation qui remet en cause sa souveraineté sur le Sahara
Occidental, appelant explicitement à l’autodétermination du peuple
sahraoui, et dont de nombreux membres reconnaissent pleinement la
République arabe sahraouie démocratique (RASD).
Ce retour marque d’abord une « victoire
pour la cause sahraouie », tranche l’ancien ministre et diplomate,
Abdelaziz Rahabi. Mais c’est également une victoire diplomatique de
l’Algérie, selon une autre source diplomatique algérienne qui a souhaité
garder l’anonymat. En effet, la politique algérienne de leadership et
la constance de la position du pays a contribué à un isolement
diplomatique du Maroc sur le continent africain et, plus récemment, au
sein de l’Organisation des nations unies.
L’on perçoit d’ailleurs une certaine
frustration dans les propos du roi Mohamed VI, notamment lorsqu’il
évoque la lutte antiterroriste : « l’expérience marocaine,
largement reconnue sur le plan international et sollicitée par de
nombreux pays – y compris européens – serait mise au service de la
sécurité et de la stabilité de tous les pays africains ». Des
qualificatifs généralement attribués à… l’Algérie. Le Maroc a pourtant
été largement exclu des initiatives régionales, y compris de médiation
et le règlement des conflits et ce malgré les tentatives des alliés
occidentaux du royaume de l’y inclure.
Outre ce retour « bredouille » à l’UA,
sa dernière déconvenue diplomatique réside dans le rétablissement forcé
d’une partie de la mission onusienne au Sahara occidental, récemment
expulsée (sur un coup de tête ?) par Rabat. Finalement, les soutiens du
Maroc (notamment la France et les États-Unis) lui ont demandé
« d’adoucir sa position » sur ce dossier.
Critiques voilées envers l’Algérie
Dans sa lettre, le souverain marocain
vante longuement les mérites de l’action de sa dynastie en Afrique. Il
met particulièrement en avant le rôle économique du royaume dans « le
domaine de la banque, des assurances, du transport aérien, des
télécommunications et du logement », faisant du Maroc le « premier
investisseur africain en Afrique », poursuit Mohamed VI.
Au-delà, M6 ne se prive pas de qualifier
la RASD « d’État fantôme » ou de « pseudo État ». Surtout le roi du
Maroc adresse des critiques à peine voilées à l’Algérie, sans toutefois
la nommer : « l’histoire retiendra cet épisode [la reconnaissance de la
RASD par l’UA, NDLR] comme une tromperie, un détournement de procédures,
au service d’on ne sait quels intérêts. Un acte comparable à un
détournement de mineur ». Plus loin, Mohamed VI appelle à « écarter les
manipulations, le financement des séparatismes, de cesser d’entretenir,
en Afrique, des conflits d’un autre âge. »
Une adhésion avec conditions ?
Par ailleurs, le Maroc semble poser
certaines conditions pour son retour au sein de l’UA. Du moins, M6
espère pouvoir infléchir la position de l’organisation panafricaine sur
la question du Sahara Occidental, appelant à la « neutralité » et au
règlement du conflit à travers le Conseil de écurité de l’ONU.
Plus précisément, le roi s’attarde
longuement sur « les fardeaux d’une erreur historique et un legs
encombrant », pointant, selon lui, vers « une contradiction évidente
avec la légalité internationale ». Afin d’appuyer ses propos, le roi
indique que « ce prétendu État n’est membre ni de l’ONU, (…) ni d’aucune
autre institution internationale » et que les Nations unies se penchent
actuellement sur la question.
Il prétend alors mettre l’Union
africaine devant ses contradictions affirmant que cette dernière « ne
peut donc, seule, préjuger de l’issue de ce processus [onusien, NDLR].
Par sa neutralité retrouvée, elle pourrait, par contre, contribuer d’une
manière constructive à l’émergence » d’une solution.
Cela dit, le Maroc semble comprendre que
l’exclusion de la RASD de l’UA est une cause perdue. « Après réflexion,
il nous est apparu évident que quand un corps est malade, il est mieux
soigné de l’intérieur que de l’extérieur », estime Mohamed VI, indiquant
qu’il ne perd pas espoir d’obtenir une exclusion de la RASD.
Manœuvres politiciennes et lobbying en perspective
Cette dernière phrase du roi laisse
présager une joute diplomatique intense au sein de l’Union africaine,
une fois le Maroc de retour. Fortement implanté en Afrique de l’Ouest,
le royaume compte sur ses alliés pour renverser la tendance de son
isolement. « Certains pays d’Afrique de l’Ouest parlent à la place du
Maroc », indique le diplomate algérien. « L’on ignore si le retour du
Maroc changera fondamentalement les choses, mais l’Algérie devra se
montrer vigilante afin que la position de l’UA ne soit pas détournée »,
prévient-il.
En attendant, le lobbying marocain a
déjà commencé. Tout d’abord, une motion pour la suspension de la RASD
circule dans les coulisses du sommet de l’UA à Kigali, la capitale
rwandaise. Mieux, elle aurait déjà été signée par 28 des 54 chefs d’État
africains, indique la radio française RFI.
Dans le même temps, le report de
l’élection du président de la Commission de l’UA, à la demande de 15
chefs d’État d’Afrique de l’Ouest, où le Maroc compte de nombreux
soutiens, est une aubaine pour Mohamed VI. En conséquence, le Sénégalais
Abdoulaye Bathili pourra présenter sa candidature, pour remplacer la
Sud-Africaine Nkosazana Zuma, intransigeante sur la question du Sahara
Occidental.
Pour sa part, Mohamed VI estime que
« cela fait longtemps que nos amis nous demandent de revenir parmi eux,
pour que le Maroc retrouve sa place naturelle au sein de sa famille
institutionnelle. Ce moment est donc arrivé. ». C’est en ces termes que
le roi marocain a officialisé la demande de retour du Maroc.
Approximations et contre-vérités
Dans son message, Mohamed VI a loué les
réalisations de son père et prédécesseur, feu le roi Hassan II, oubliant
au passage que son père, a longtemps dénigré l’ex-OUA et a même
qualifié l’Union africaine, au moment de l’adhésion de la RASD et du
retrait du Maroc, de « conférence de tam-tam », rappelle un diplomate
algérien. Des propos insultants, foncièrement racistes et condescendants
à l’égard de « la grande famille africaine. »
Par ailleurs, en insistant sur le nombre
de pays ayant retiré leur reconnaissance à la RASD, Mohamed VI « omet »
de mentionner le soutien de nombreux « poids-lourds » du continent à la
cause sahraouie. L’Algérie et l’Afrique du Sud en tête, respectivement
premier et deuxième contributeurs au budget de l’UA, ainsi que la
majorité des pays d’Afrique australe (Angola, Zimbabwe, Namibie…) ont
toujours été des soutiens inconditionnels du processus de
décolonisation.
Il y a aussi le Nigéria, autre gros
contributeur financier, dont le Président Muhammadi Buhari est un
fervent partisan de l’autodétermination du Sahara Occidental. Toujours
en Afrique de l’Ouest, le Ghana, membre historique et influent de l’UA
compte également parmi les soutiens de la RASD. Nous citerons également
le Kenya qui, après avoir retiré sa reconnaissance de la RASD en 2006,
l’a récemment rétablie, dans la foulée d’un rapprochement avec
l’Algérie, notamment avec l’ouverture d’une ambassade du Kenya à Alger.
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