Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman
IREMAM - UMR 7310 - CNRS/Aix Marseille Université
Présentation géopolitique de la péninsule Arabique
p. 1-38
Texte intégral
1Le rapport entre
l’environnement physique et le développement socioculturel – et donc
également politique – des sociétés n’est jamais simple. Cela est vrai
pour les sociétés les plus complexes. Ce l’est aussi pour les
populations qui se trouvent confrontées aux difficultés majeures,
d’ordre physique, qu’elles rencontrent dans leur cadre d’existence, par
exemple dans les déserts ou sur leurs marges. Interviennent alors des
adaptations, qui représentent pour l’essentiel les conditions même de
survie de ces sociétés. Mais même dans ce cas, il y a des « chances » de
l’histoire qui créent des possibilités d’échapper à ces adaptations
primaires et de constituer des groupements d’une autre nature, obéissant
à d’autres règles : novations techniques, sociales ou politiques liées à
la circulation des hommes (migrations) ou des idées (diffusion des
idéologies), ou simplement réflexes de défense contre une menace
extérieure. Cela aboutit toujours à la constitution de pouvoirs, visant à
la sauvegarde et à la domination d’un certain espace et jusqu’à
certaines limites, qui deviendront des frontières. Le droit lui-même
vient à changer de nature ; de loi non écrite, coutume nécessaire au
maintien de l’identité du groupe et à sa survie, il devient code de
garanties et d’usages internationaux.
2La péninsule
Arabique est une belle illustration de ce qui vient d’être dit. Au
départ, en effet, on trouve des populations soumises à des conditions
d’environnement particulièrement difficiles qui mettent en cause leur
survie : l’aridité presque partout présente, l’excessive chaleur et
l’ensoleillement ont imposé, sur la plus grande partie de la péninsule,
la solution du nomadisme pastoral, allant de pair avec une occupation
mobile de l’espace sans autres limites que celles qu’imposaient la
concurrence des parcours et la satisfaction des besoins de chaque
groupe. Les conditions venaient-elles à s’aggraver ou la surcharge
démographique devenait-elle inconciliable avec les ressources, le seul
moyen pour le groupe de subsister était l’essaimage, c’est-à-dire le
déversement, par migration ou par conquête, sur l’espace périphérique.
Mais ces conditions techniquement ou biologiquement équilibrées, si l’on
peut dire, ont été totalement bouleversées par l’évolution
contemporaine qui aboutit à une transformation à peu près totale du
genre de vie : sédentarisation accélérée des anciens nomades, création
de structures de domination politique, d’États, cloisonnement de
l’espace par l’établissement de frontières fixes.
3Comment cela
a-t-il pu se produire ? C’est à cette question que l’on voudrait
répondre ici, tout d’abord en caractérisant les conditions physiques qui
n’ont pas changé pour autant et qui sont responsables d’adaptations
socio-économiques au demeurant fort anciennes. On s’efforcera ensuite
d’analyser les processus historiques, internes et externes, qui ont pour
ainsi dire modifié le contenu de la notion d’espace telle qu’elle était
vécue dans la tradition, pour aboutir à la carte politique telle que
nous la connaissons.
I. – L’ARABIE ARIDE
1) Les données climatiques
4C’est évidemment
l’aridité, l’absence d’eau, rendue plus sévère encore par l’excessive
chaleur, qui pose le plus de problèmes aux sociétés contraintes à vivre
dans ces conditions. La péninsule Arabique fait partie de la ceinture
des pays subtropicaux de l’hémisphère nord, entre le Sahara et le
nord-ouest de l’Inde, où sécheresse et chaleur sont les caractéristiques
climatiques dominantes : la partie nord, Bâdiyat ash-Shâm, n’est que le
prolongement du désert syrien, elle reçoit encore des précipitations de
50 à 100 mm, ce qui permet le développement d’une végétation steppique.
Par contre, à l’intérieur même de la péninsule, la pluie devient
extrêmement rare au point qu’il serait vain d’en calculer la hauteur
moyenne : c’est alors le désert qui s’établit, et même dans le Sud, le
désert absolu, sur les quelques 1 000 km2 du Rub‛ al-Khâlî.
La chaleur, avec une moyenne des maxima de juillet avoisinant 45°, mais
aussi les très fortes amplitudes tant diurnes qu’annuelles, liées à la
diathermie d’une atmosphère très sèche, ajoutent à la rudesse du climat.
5En simplifiant
beaucoup, cette situation climatique s’explique par la prédominance des
vents du nord, se dirigeant vers le centre de basses pressions
équatoriales et se desséchant au fur et à mesure qu’ils pénètrent dans
la péninsule surchauffée. Le tableau mériterait quelques nuances,
notamment sur les marges : le long de la mer Rouge, l’hiver, une auge de
basses pressions peut occasionnellement se développer, en prolongement
du centre de Chypre : elle convoie vers les côtes du Hijaz des
perturbations d’origine méditerranéenne très atténuées. De même, il
arrive que le Golfe joue le même rôle en prolongement des basses
pressions méditerranéennes. Mais le climat n’est pas changé pour le
fond. Il s’en trouve même aggravé quand le déplacement des basses
pressions vers l’Irâq méridional provoque l’invasion d’un vent du
sud-est, très chaud, chargé de particules solides très fines, et presque
insupportable : le kaws du Golfe ne le cède pas sur ce point à ses homologues égyptien, khamsîn, ou syrien, shlûr.
2) Les formes du relief et les régions
6Le climat n’est
naturellement pas la seule coordonnée qui définisse le milieu et
l’écologie dans l’Arabie aride. Il y a aussi le relief qui oriente les
itinéraires, et peut même, à condition qu’il s’y ajoute une altitude
suffisante, apporter une atténuation sensible à l’aridité du désert.
Enfin, il y a les conditions changeantes de la couverture minérale, qui
sont très importantes, dans un pays souvent dépourvu de sol,
puisqu’elles déterminent les possibilités d’accès sur de larges surfaces
à l’intérieur du pays : rocailles, désert sableux, dunes.
7L’explication du
relief de la péninsule, c’est évidemment dans l’orogénie qu’elle se
trouve. Son allure massive, ses contours raides et ses « cornes » en
angle droit : tout cela s’explique par la rigidité du socle archéen, qui
est de même nature que celui de l’Afrique ou du Décan. La péninsule
Arabique a été détachée de cet ensemble (que les géologues ont coutume
d’appeler continent de Gondwana) par une série de fractures rectilignes,
plus ou moins orthogonales, au long desquelles se sont exercées des
forces à la fois de distension des blocs et de soulèvement des lèvres.
En particulier, l’ensemble arabique a été relevé le long du rift de
la mer Rouge, ce qui a provoqué, en négligeant toute une série
d’accidents secondaires lisibles dans le relief, une inclinaison presque
régulière de la table depuis la mer Rouge jusqu’au Golfe. Ainsi
s’explique aussi l’importance des venues volcaniques qui recouvrent
d’une chape continue, encore qu’elle-même traversée de divers accidents,
la plus grande partie de l’Asîr et du Yémen, au-dessus du talus frontal
et de l’étroite plaine côtière. Des épanchements se sont également
produits dans la partie nord du pays, où le golfe de ‛Aqaba, le Wâdî
‛Arab et au-delà, le fossé de la mer Morte représentant une diramation
du rift de la mer Rouge.
8Ainsi s’explique,
dans sa partie septentrionale, la raideur du talus qui domine l’étroite
plaine côtière, la peu avenante Tihâma, et l’altitude relativement
élevée du plateau : au-dessus de Médine, le Jabal Radwa dépasse 1 800 m
et le Jabal Shammar qui fait suite n’est guère moins élevé. L’oasis
intérieure de Hâ’il est encore à près de 1 000 m. Il faut aller beaucoup
plus loin, au-delà du désert du Grand Nafûd pour trouver à de plus
basses altitudes une sorte de vaste plaine, inclinée vers le nord, où le
socle est enfoui sous une couverture d’âge tertiaire : c’est la région
bédouine du nord, la Bâdiyat ash-Shâm, où les tribus trouvent l’avantage
d’une végétation plus steppique que désertique, avec un nombre
appréciable de points d’eau alimentés par les averses hivernales. Plus
loin encore, une série de wâdîs ouvrent la voie vers la Mésopotamie et
l’Iraq.
9Les altitudes sont
moins élevées et la plaine côtière elle-même est plus large au sud de
Médine, grâce à quoi un accès plus facile s’ouvre vers l’intérieur :
c’est là que se trouve Jedda, sur la côte, et par-delà, La Mekke, ville
commerçante dans son passé préislamique, devenue le lieu du pèlerinage
prescrit et où confluent les musulmans du monde entier.
10Sitôt dépassé
l’écran du talus côtier, sur les pentes intérieures du Hijâz, le relief
se diversifie : des dépressions, souvent d’origine tectonique, logées
entre des massifs facilement contournables, le rendent relativement
propice aux établissements humains. Il n’est pas étonnant que s’y trouve
une chaîne d’oasis dont certaines sont devenues des villes (Tabûk,
al-‛Ulâ, Médine) à cause du passage et du commerce, préférant cette
coursive intérieure à l’inhospitalière Tihâma.
11Plus loin, dans
l’intérieur, c’est le Nafûd ou plutôt les Nafûds, déserts rocheux ou
chargés de dunes ; sauf dans leur partie septentrionale, ils ne se
présentent pas toujours sur une très grande largeur mais ils annoncent
déjà le grand désert du sud auquel le relie sa branche méridionale, dite
Nafûd Dahî : surtout il enserre, pour ainsi dire, les zones plus
favorisées du Najd, si bien que dans quelque lieu que l’on se trouve, le
désert est toujours proche, comme une donnée fondamentale de
l’existence et de la culture arabes.
12Un paysage plus
complexe, et, dans l’ensemble, des conditions plus favorables
d’existence caractérisent le Najd : c’est la transcription dans le
relief d’une zone de fractures qui prend la péninsule par le travers, du
Hijâz méridional jusqu’à la province du Hasâ, sur la côte du Golfe. Le
granit y affleure, dans des blocs soulevés, jusqu’à 1 000 et 1 200 m
d’altitude. Des épanchements de laves, signalant les fractures, y
donnent aussi quelques hautes surfaces désolées, harra. Mais le
pays est aussi fait de multiples dépressions et de grands escarpements,
dont le plus élevé, le Jabal Tuwayq, se dégage des sables du Nafûd Dahî
au sud de Riyadh. De la couverture calcaire et du karst qui s’y
développe s’échappent des sources importantes, qui permettent
l’approvisionnement en eau des agglomérations qui jalonnent le Najd.
13On comprend que
ce pays plus diversifié, où coexistaient le nomadisme des tribus et un
réseau relativement continu de villes, ait joué un rôle primordial dans
l’évolution politique de la péninsule.
14La façade de la
péninsule sur le Golfe est toute différente de son arrière-pays, et plus
encore de la façade abrupte qui donne sur la mer Rouge. Ce ne sont que
terres basses qui vont s’immerger sous les eaux transparentes d’une mer
sans profondeur. Les criques, khawr, en eau profonde sont
rares : la baie de Kuwait, et l’anse en forme de corne qui sépare les
deux « villes » qui forment l’agglomération de Dubayy, sont à peu près
les seules où ait pu se développer une activité fixe basée sur la pêche,
l’exploitation des bancs d’huîtres perlières, le commerce par mer.
Mais, la plupart du temps, le contact est direct entre le désert et le
monde de pointes sableuses, de lagunes et de chenaux qui annonce la
pleine mer. Tout au plus la proximité de quelques basses collines
introduit-elle l’austère variante de hamadas rocheuses.
15Il y a pourtant
deux exceptions à cette désespérante monotonie : d’abord la presqu’île
de Qatar, formée d’un plateau calcaire, où se développe un karst
élémentaire qui ne dépasse guère 100 m. La côte orientale comporte
quelques criques où s’étaient établis de charmants villages de pêcheurs,
avant que ne les rase le bulldozer impitoyable, prélude à la
modernisation. C’est là, en partie sur des terrains gagnés sur la mer,
qu’est établie la capitale, Doha. Un système de dunes ferme la
presqu’île du côté du continent. L’autre heureux accident de la côte,
c’est Bahrain. Il faut peut-être rappeler que si le nom s’applique
maintenant à l’archipel sur lequel l’émir de Bahrain étend son pouvoir,
il s’appliquait jadis aussi à la côte du Hasâ qui lui fait face. Elle
aussi favorisée par l’abondance de l’eau douce et par le caractère
sédentaire, en majorité paysan, de sa population. Une population dense
vit dans des villages fortement groupés et dans la capitale, Manama,
établie au ras de la mer. Société rurale de jardiniers, mais aussi
civilisation commerçante, où des affaires se traitent avec une tradition
de liaisons maritimes à grande distance. Par certains de ses aspects
naturels (habitations, tours des vents), Bahrain fait partie d’un
ensemble très particulier qui couvre tout le centre du Golfe, rive
iranienne comprise. Ce qui explique, sans la justifier, la très ancienne
revendication de l’Iran sur l’archipel.
Les tribus
- 1 On aura certainement recours à des travaux qui pour être anciens n’ont pas perdu de leur « actuali (...)
16C’est dans ce
cadre souvent fort austère que se déplacent les tribus bédouines. Car
comment survivre, dans de telles conditions, sinon par la mobilité et
par l’utilisation extensive des ressources de très maigres pâturages ?
Pour les mêmes raisons de survie, la population est soumise pour la plus
grande partie à l’ordre tribal, moins attaché à la possession de la
terre (et pourquoi faire, si l’eau est absente ?) qu’aux liens, réels ou
fictifs, du sang. C’est sur ces données qu’est bâti le code non écrit,
que se règlent les mœurs et que se développe la civilisation matérielle.
On ne refera pas la description de la vie nomade : elle a été traitée
par ailleurs, et les descriptions en abondent1.
Par contre il n’est peut-être pas inutile de dénommer et de situer les
tribus autant que faire se peut, dans la mesure où elles représentent
des pouvoirs en puissance qui se sont souvent affrontés en luttes
concurrentes souvent vaines, mais qui, parfois aussi, ne sont pas sans
avoir agi sur la formation des États.
17On notera d’abord
que les tribus se reconnaissent une origine différente, même et surtout
lorsqu’elles voisinent. Sans doute ne faut-il pas être dupe des
généalogies reconstituées, qui ne sont souvent que des fictions
structurantes. Elles s’établissent communément dans un rapport binaire.
L’histoire le plus souvent non écrite de la péninsule est faite en bonne
partie de ces oppositions dont on aurait tort de croire que, derrière
la liquidation des anciens genres de vie, elles n’ont pas laissé de
traces.
18Les tribus se
réfèrent donc à des origines diverses d’ordre géographique et
généalogique. Ces deux paramètres se rejoignant le plus souvent ; pour
les unes, le Nord, c’est-à-dire les approches du désert syrien ; pour
les autres, le Sud, c’est-à-dire les marges arides du Yémen. Sur quoi
vient se situer, en surimpression, la généalogie mythique, remontant à
la descendance d’Abraham, les premières, nizârites ou maadites, se
rattachant à ‛Adnân, les autres, yéménites, descendants présumés de
Qahtân. Les tribus bédouines du Nord nomadisent en principe depuis le
Grand Nafûd jusqu’aux confins de la Syrie et de l’Iraq, c’est-à-dire à
travers la Bâdiyat ash-Shâm. Tel est le cas des groupes qui se
rattachent à la grande confédération des ‛Anaza. Les Ruwâla, réputés
pour leurs vertus guerrières, sont des ‛Anaza ; de même les Dawâsir qui,
s’étant déplacés du Najd du Sud vers le Golfe, forment maintenant
l’essentiel de la population occupée par les entreprises pétrolières du
Hasâ. De même origine sont les Harb et les Qaysites que l’on trouve au
Hijâz, concurremment avec des tribus yéménites. C’est un groupe de ces
nomades du Hijâz qui passa en Egypte vers le ixe siècle et qui est à l’origine de la migration hilâlienne en direction du Maghreb à l’époque fâtimide.
PHOTO 1. – Types de paysages : les hautes terres yéménites.
La région du village d’al-Hutayb, près de Manâkha dans le Jabal Harâz, porte des cultures en terrasses, notamment de l’arbuste qât au premier plan, autour d’un habitat groupé et fortifié sur des éminences (Photo et légende : Paul Bonnenfant).
La région du village d’al-Hutayb, près de Manâkha dans le Jabal Harâz, porte des cultures en terrasses, notamment de l’arbuste qât au premier plan, autour d’un habitat groupé et fortifié sur des éminences (Photo et légende : Paul Bonnenfant).
19Mais sur ces
mêmes parcours de l’Arabie du Nord, ou sur les hautes terres du Hijâz,
les tribus nizârites se rencontrent avec les tribus yéménites, qui ne
cessent de migrer depuis les marges du grand désert méridional ; et,
donc, entre elles, s’établissent des rapports le plus souvent
belliqueux. Il n’est pas étonnant de retrouver cette opposition dans les
luttes tribales qui périodiquement déchirent le Hijâz. Au temps du
Prophète, ce sont des Aws et des Ansâr, faisant partie de la vaste
fédération yéménite des Azd qui s’opposent aux Qurayshites, maîtres de
La Mekke. En Oman, où très tôt des tribus Azd avaient pris possession du
pays, l’histoire enregistre les luttes séculaires des Yéménites et des
Nizârites pour la prise de pouvoir. Et si, au cours du xviiie
siècle encore, les Hinâwî, ibâdites, s’opposent aux Ghâfirî, sunnites,
les uns et les autres justifient leur opposition en se rattachant les
premiers aux Yéménites (du Sud) et les seconds aux Nizârites (du Nord).
La migration la plus étonnante est sans doute celle des Tayyi’ d’origine
yéménite, qui viennent peupler le Najd du Sud. Une des tribus qui se
rattache au groupe Tayyi’, les Shammar, se porte alors vers la
Mésopotamie et la Syrie, où elle se heurte aux ‛Anaza, tribu Nizârite,
originaire du Nord. C’est encore un Shammar, de la famille des Rashîd,
qui, depuis Hâ’il dont il est gouverneur, fait chanceler le pouvoir
saoudien, dans les dernières années du xixe siècle, en occupant Riyadh et en forçant le shaykh saoudien, père de ‛Abd-al-‛Azîz ibn Saoud, à se réfugier au Kuwait.
20Naturellement, ce
sont des tribus yéménites qui occupent les marges des steppes et
déserts formant transition entre le Yémen et le grand désert. Plus ou
moins soutenues par leurs homologues d’Arabie Saoudite, elles ont posé
et posent encore quelques problèmes aux gouvernants yéménites. Ce sont
les mêmes tribus encore qui peuplent le Hadramawt, non loin de la côte
sud de la péninsule : mais là, les conditions sont différentes, et
l’argent gagné par les migrations lointaines, par delà l’Océan, supplée
largement les maigres revenus de la nomadisation.
Villes et oasis
21Au reste, même
dans la partie la plus sèche de l’Arabie aride, la nomadisation ne rend
jamais compte de toute l’occupation de l’espace, ni ne totalise
l’ensemble des ressources offertes. Les nomades ont toujours besoin de
s’appuyer sur des points fixes, oasis ou villes, où ils obtenaient par
le commerce ou la violence, ghazw ou rezzou, le complément d’approvisionnement nécessaire.
22Les oasis : des
espaces de cultures irriguées et des palmeraies exploitées par des
sédentaires, grâce à des réserves d’eau puisées le plus souvent à des
nappes fossiles, affleurant naturellement ou accessibles par des puits.
Mais si certaines de ces oasis sont devenues des villes, c’est en raison
d’un processus différent, sélectif celui-ci, qui fait historiquement
partie du tableau offert par l’Arabie aride : il s’agit de l’existence
d’itinéraires commerciaux à grand rayon, traversant la péninsule au
départ de terminus eux-mêmes reliés aux marchés extérieurs,
Méditerranée, Inde ou Afrique orientale. Aux produits courants
s’ajoutent les produits rares, venant de l’Inde (épices) ou du sud de
l’Arabie (encens ou myrrhe). La prospérité ancienne du royaume de Saba
est à mettre pour une part en relation avec ce trafic, qui eut des hauts
et des bas, selon que la sécurité était plus ou moins bien assurée, et
que jouait la concurrence de la voie maritime. Quoiqu’il en soit, c’est
le commerce, et en particulier le trafic caravanier, qui a provoqué la
croissance sélective des villes de l’intérieur : à la population des
agriculteurs sédentaires est venue s’ajouter la bourgeoisie commerçante,
responsable d’une certaine accumulation capitalistique. C’est aussi
dans les villes que devait s’élaborer une autre culture que la culture
bédouine, un autre type de communication idéologique, religieuse et
intellectuelle ; on sait le rôle qu’ont joué dans la vie du Prophète et
dans la première diffusion de l’Islam les villes du Hijâz. D’autres
villes oasis, comme Jawf assurent la liaison avec les steppes du nord et
de l’ouest, au débouché du Wâdî Sirhân par où l’on accède à l’actuelle
Jordanie. D’autres enfin jalonnent le Najd qui de ce fait jouera un rôle
essentiel dans l’histoire de l’Arabie, dans celle de son morcellement
puis de son unification : Hâ’il, ‛Unayza, Riyadh, devenue capitale, par
le triomphe tardif de la monarchie saoudienne. Non loin de Riyadh, à
Kharj, sur le Wâdî Hanîfa, l’eau sourd en telle quantité qu’on a pu y
situer un des premiers programmes de développement agricole. Enfin, à
l’approche du Golfe, l’eau surabonde (ou plutôt surabondait) dans
l’immense oasis de Hufûf, dans la province de Hasâ. Elle s’échappe d’une
cinquantaine de sources ou de puits légèrement artésiens, d’où elle se
répartit par gravité à travers la palmeraie (sayh) ; parfois aussi on utilisait le shadûf traditionnel, ce qui veut dire que la nappe était à fleur de terre, ou le dalû tiré
par un animal quand l’eau était plus profonde. Aujourd’hui, un réseau
d’irrigation très moderne s’est substitué aux moyens traditionnels,
cependant que l’eau sert à bien d’autres usages qu’à l’agriculture.
Aussi bien la magnifique réserve est-elle en décrue ! Et comme elle ne
se reconstitue pas...
23La même nappe se
prolonge jusqu’à la côte, où elle alimente l’oasis de Qatîf et même, par
dessous la mer peu profonde, Bahrain. Mais une partie se perd dans des
sources sous-marines, encore que les paysans de l’île aient trouvé le
moyen de s’y approvisionner en plongeant avec des outres aménagées à cet
effet. Mais là aussi le niveau baisse, et la palmeraie en est ravagée !
Hommes de la terre et de la mer : Yémen et Oman
24La façade
méridionale de la péninsule, quoique participant du même monde
ethno-culturel, c’est-à-dire arabe, que le reste du pays, constitue un
milieu très original. La raison de fond est bien sûr physique, étant
données les différences qu’introduisent le relief, l’altitude, et
surtout le climat : la différence est déjà sensible dans l’Asîr, qui
prolonge le Hijâz au sud de La Mekke. Le relief y prend de la hauteur,
le talus se raidit, au-dessus d’une Tihâma soudain rétrécie, cependant
que les conditions climatiques changent, en partie du fait du relief, en
partie du fait de l’altitude : on est ici aux limites de l’Arabie
aride, au moins dans la région côtière.
25L’Arabie
méridionale se caractérise par une topographie violemment contrastée,
véritablement montagneuse, au moins dans les deux « cornes » de la
péninsule : exaltation du haut plateau du Yémen et de la cordillère qui
forme l’arête dorsale de l’Oman. Elle se caractérise aussi par un climat
différent, au moins dans la partie montagneuse : au Yémen, le relief
accentue l’abondance de précipitations d’été, dont le régime, qui est
déjà celui de la mousson, forme un contraste absolu avec celui du reste
de la péninsule. L’Oman est plus sec, mais n’est pourtant pas dépourvu
de pluie dans les parties hautes où elles peuvent atteindre localement
les 300 mm : c’est assez pour que la toponymie enregistre la chose, en
dénommant « montagne verte », Jabal Akhdar, le massif principal.
Naturellement, le genre de vie des populations en est influencé : on
n’est plus dans l’espace bédouin dans cette bâdiya où la survie
des populations dans un milieu aride reste liée pour l’essentiel au
nomadisme pastoral et à la structure tribale, c’est-à-dire à la mobilité
à travers un espace pour ainsi dire sans aménagement. Au contraire, au
Yémen comme en Oman, l’espace est contrôlé par des sociétés paysannes,
au départ de villages et de terroirs, dans la mesure où la nature
rocheuse de ce pays permet leur installation. A quoi s’ajoute, au moins
pour la corne septentrionale, une autre composante : la mer, non pas
ignorée ou ponctuellement exploitée comme c’est le cas dans le reste de
la péninsule, mais la mer s’ouvrant sur des horizons lointains, la côte
vivante, les ports, portant à la découverte, au commerce maritime, à la
course en cas de besoin...
26Non point que les
pays du Sud puissent faire abstraction de la dure réalité qui sévit
dans tout le reste de la péninsule, à savoir l’aridité. Au pied même du
talus, la Tihâma yéménite n’est guère moins sèche que son prolongement
en bordure de l’Asîr. Et ce n’est pas sans raison que l’un des centres
de dispersion des tribus se trouve précisément au Yémen, sur la bordure
interne du pays. On donne souvent comme cause de cet exode la rupture,
une première fois en 120 après J. C, puis l’abandon, de la grande digue
sabéenne de Mârib, dans les premiers siècles de l’ère chrétienne : il ne
fait aucun doute que cet accident spectaculaire de l’histoire a dû
ruiner l’agriculture dans toute la zone « dominée » par l’immense
réservoir et provoquer soit l’exode, soit la conversion au nomadisme de
la population sédentaire qui y était installée. Toutefois, il ne s’agit
là que de la frange semi-aride du haut pays, précisément celle où
s’inscrivent les avancées ou les reculs des genres de vie liés à
l’élaboration des techniques hydrauliques ou au contraire à
l’exploitation extensive des parcours.
27Le vrai désert
n’est jamais bien loin : non point désert morcelé comme il l’est plus au
nord, sur fond d’aridité générale, mais énorme masse d’un des déserts
les plus sévères du monde : le Rub‛ al-Khâlî, qui s’étend sur environ
600 000 km2 et sur une longueur de plus de 1 000 km, dans la
partie la plus large de la péninsule, longeant le Yémen proprement dit,
parvenant jusqu’à la côte de l’océan Indien, puis contournant la partie
montagneuse de l’Oman, pour déboucher ensuite directement sur le Golfe,
dans les Emirats. Désert non pas totalement impénétrable certes, puisque
l’encens de Dhufâr et la myrrhe ont pu le contourner par des
itinéraires caravaniers, mais désert très difficile, rocheux ou sableux,
avec de grandes dunes où rares sont les points d’eau, plus rares encore
les oasis. Pratiquement, aussi bien pour le Yémen que pour l’Oman, la
proximité du désert a toujours posé un problème : c’est là que s’est
exercée périodiquement la pression des tribus. Elles ont pesé en effet
et pèsent encore d’un grand poids, dans l’élaboration de la vie
politique du Yémen, surtout quand elles se trouvent manipulées par un
pouvoir « étranger » ou voisin. De même, l’arrière-pays désertique de
l’Oman a-t-il été, et jusqu’aux dernières décennies, le lieu de tensions
que symbolisent les luttes pour la possession de l’oasis de Buraymî.
L’appétit de contrôle et d’appropriation du désert est devenu encore
plus âpre quand il fut confirmé que d’importantes réserves de pétrole
pouvaient s’y trouver.
PHOTO 2 et 3. – Types de paysages : les hautes terres saoudiennes du sud-ouest ou sarât.
Le socle cristallin tombe brusquement sur la plaine côtière aride de la Tihâma (photo du bas, au fond). Les hauteurs (2 000 m et plus) mieux arrosées portent des forêts de genévriers de Phénicie et d’acacias, ainsi que des cultures en terrasses. Les routes nouvelles structurent le paysage : en haut, la route Taif-Abhâ joint les points les plus hauts de la sarât, tandis que des routes impressionnantes escaladent le rebord du socle depuis la Tihâma, comme la ‛aqabat as-Sammâ’ ci-dessous, au nord d’Abhâ (Photos et légende : Paul Bonnenfant).
Le socle cristallin tombe brusquement sur la plaine côtière aride de la Tihâma (photo du bas, au fond). Les hauteurs (2 000 m et plus) mieux arrosées portent des forêts de genévriers de Phénicie et d’acacias, ainsi que des cultures en terrasses. Les routes nouvelles structurent le paysage : en haut, la route Taif-Abhâ joint les points les plus hauts de la sarât, tandis que des routes impressionnantes escaladent le rebord du socle depuis la Tihâma, comme la ‛aqabat as-Sammâ’ ci-dessous, au nord d’Abhâ (Photos et légende : Paul Bonnenfant).
28Comment se
présentent les deux cornes méridionales de la péninsule, à l’intérieur
de cet environnement désertique ? Il s’agit en réalité de deux pays bien
différents.
Le Yémen
29Le Yémen n’est
que la continuation de l’Asîr, par-delà le Hijâz, mais avec des
caractéristiques progressivement accentuées. L’allure reste celle d’un
plateau, recouvert d’épaisses couches de lave. Mais l’altitude croît
régulièrement vers le sud, où la plus grande partie du plateau est à
plus de 2 000 mètres ; aux environs de Sanaa, le Nabî Shu’ayb culmine à
3 740 m ! Le climat en est profondément affecté : les chaleurs se font
moins excessives, même l’été, et la fraîcheur est sensible pendant la
nuit. Les hivers sont relativement rigoureux malgré la position en
latitude : la moyenne du mois le plus froid ne dépasse pas 5°, et la
neige n’est pas exceptionnelle. Quant à la pluviométrie, elle subit les
effets à la fois du relief et de la latitude, qui est celle du nord de
l’Abyssinie et du sud de l’Inde : les précipitations dépassent souvent
les 500 mm, et surtout, au contraire de ce que connaît tout le monde
arabe, de l’Atlantique à la péninsule Arabique, il s’agit ici de pluies
d’été, assimilables à la mousson indienne.
- 2 L’habitude euphorisante de « brouter » et de mastiquer l’extrémité des tiges de qât reste très gén (...)
30Dans ces
conditions, l’évolution des sols et les aptitudes culturales sont toutes
différentes : la qualité et parfois la profondeur de la terre, la
quantité de pluie reçue ont permis le développement d’une agriculture
paysanne, basée sur la céréaliculture diversifiée, orge et blé, mais
aussi millet et sorgho, et sur l’arboriculture, ici représentée surtout
par le caféier et le qât2,
celui-ci, hélas, plus rémunérateur et moins exigeant que le premier.
Agriculture pourtant qui n’a pu se développer qu’au prix d’un énorme
investissement en travail. Il a fallu remédier à la surabondance des
débris rocheux et aux pentes excessives par l’épierrement et par la
construction de terrasses, les parties les moins raides étant consacrées
aux céréales et aux légumes, les plus raides aux arbres. Ces terroirs
construits, dont l’entretien est toujours à reprendre, sont commandés
par des villages perchés, situés parfois dans des positions
invraisemblables et par des hameaux, qui correspondent à des groupements
familiaux ou tribaux. Les maisons elles-mêmes, fort originales,
construites en hauteur, avec les encadrements de fenêtres relevés de
chaux blanche « expriment » pour ainsi dire la cellule familiale (la
famille large) qu’elles abritent avec l’essentiel du cheptel et
l’approvisionnement nécessaire. Cependant, il ne faut pas se faire
d’illusion quand on parle de la richesse du sol et du climat
relativement favorable. La dimension des exploitations est petite et le
pays n’arriverait pas à faire vivre une population relativement dense
s’il n’exportait une partie de sa main-d’œuvre vers l’intérieur de la
péninsule. L’urbanisation, notamment en Arabie Saoudite, la
multiplication des emplois dans les régions pétrolières n’ont fait
qu’amplifier une tradition d’émigration, qu’il faut naturellement
distinguer de tout nomadisme tribal. Des villes, il y en a aussi,
naturellement dans ce pays profondément rural, qui a besoin, comme tous,
de services et de commerce régional ; Sanaa, Ibb, Ta‛izz, sont de très
anciennes villes, dont la fluctuation des pouvoirs a pu faire des
capitales. Bien que le développement de la fonction administrative et
technique aille maintenant dans le sens d’un renforcement du réseau
urbain, celui-ci reste malgré tout très lâche et n’est pas
fondamentalement transformé par la récente évolution.
31Naturellement, ce
tableau ne recouvre pas tout le Yémen. Comme dans le Hijâz et l’Asîr,
une étroite plaine littorale borde le pays du côté de la mer Rouge. Si
le débouché des wâdîs porte quelques cultures tropicales, la
Tihâma, dans son ensemble, n’est pas plus avenante ici qu’elle ne l’est
plus au nord. L’air y est humide, de façon insupportable ; le déficit
hydrique est considérable, et l’on ne peut compter, pour vivre, que sur
des nappes profondes encore mal connues et sur la nappe phréatique
discontinue où s’alimentent les villages. Ceux-ci sont formés de groupes
de paillottes, de type africain, où vit une population paysanne,
négroïde, très différente de celle de l’arrière-pays : la céréaliculture
extensive et le troupeau de vaches maigres sont ses seules ressources.
La Tihâma compte pourtant quelques villes : Zabîd vit de ses jardins, à
l’intérieur de la plaine, mais elle n’est plus que l’ombre de ce qui fut
jadis un haut centre de culture islamique. Sur la côte, Hudayda est un
vieux port que l’histoire a menacé de disparition, mais auquel le
désenclavement récent du pays redonne vie. Quant à Mukhâ la désuète,
elle a plus gagné par la contrebande que par l’exportation du café !
Mais, mieux reliée à l’intérieur, c’est-à-dire à Ta‛izz, et mieux
équipée, elle peut, moins que ne le fera Hudayda, devenir un pôle
secondaire d’urbanisation et de commerce. Tout ceci ne fait pas une côte
bien active !
32En allant vers le
sud, le plateau perd de son altitude et se résoud en lourds massifs où
se retrouvent des éléments du socle cristallin, des témoins de la
couverture calcaire et surtout de fortes nappes d’expansion volcanique
dont le dernier témoin est le rocher d’Aden, dominant une étroite
plaine. Aden, promue port soutier au bénéfice de l’Angleterre, au xixe
siècle, et devenu comme un symbole de l’impérialisme colonial, est un
peu une pièce rapportée, mal intégrée : elle rappelle l’intérêt
stratégique du détroit de Bâb al-Mandab... et la sensibilité de
l’Angleterre à la sécurité de l’Inde : nous voici bien éloignés des
perspectives continentales de l’Arabie ! Par un curieux paradoxe, c’est
plus à l’est, alors que le désert impose l’austérité de son paysage, que
se trouve le plus fort noyau de peuplement traditionnel : au long d’une
vallée qui va en se rétrécissant vers l’aval à quelques 200 km à
l’intérieur des terres et parallèlement à la direction de la côte, la
population du Hadramawt fixée à l’origine par une maigre agriculture
d’oasis, vit dans des agglomérations de type urbain, avec un habitat en
hauteur qui reproduit le modèle yéménite. En réalité, l’essentiel des
ressources est venu et vient encore partiellement de l’émigration, mais
cette fois, c’est par la mer, vers l’Inde et l’Insulinde, que s’est
écoulé le flot des émigrants et que se fait le retour.
33Plus à l’est
encore s’étend le Dhufâr, c’est-à-dire le mince talus et la plaine
côtière qui s’interposent avant le désert. La mousson y laisse encore
quelques queues de précipitations estivales, assez pour faire monter le
foin qui sèche ensuite sur place : maigre pâturage que compensent, pour
la nourriture des animaux, des achats de poissons séchés sur la côte.
Les cocotiers, papayers, bananiers et diafar-s, encadrant ou piquetant les champs de légumes et de fourrage, les frondaisons de teck piquetant
la savane d’altitude, y composent un paysage original, et pour ainsi
dire insulaire dans sa spécificité biologique, tant est étanche la
barrière du Rub‛ al-Khâlî.
L’Oman
34L’Oman est tout
autre ; il est différent de l’arrière-pays péninsulaire, mais aussi du
Yémen. Ici ce n’est pas le relèvement du socle plus ou moins rigide qui
détermine le relief, mais un plissement vigoureux, véritable cordillère
en arc de cercle qui prolonge au-delà du détroit d’Hormuz les reliefs de
l’Iran méridional. Aux deux extrémités de la chaîne où la profonde
échancrure du Wâdî Sumâ’il permet de distinguer le Hajar occidental du
Hajar oriental, la montagne tombe directement sur la mer. Il en va de
même sur la côte septentrionale, dans le Ja‛lân et de Masqat à Sûr. Au
centre, l’altitude s’exalte, culminant à plus de 3 000 m au Jabal
Akhdar, qui n’a de vert que le nom. En effet, le paysage est partout
rocheux dans les tons rouges ou ocres, les pentes sont très raides et le
relief souvent très aigu. Pourtant, certains versants et les replats
qui les dominent sont habités par une population montagnarde clairsemée
qui a su aménager tant bien que mal le terrain, en le traitant en
terrasses vertigineuses : une pluviométrie « relativement » favorable,
pouvant atteindre les 300 mm, donne vie à ces étranges terroirs
accrochés aux pentes. Des sociétés paysannes plus denses se sont
organisées dans les quelques fonds de vallée, notamment celle du Wâdî
Sumâ’il où des villages de bas de pente dominent d’assez belles
palmeraies. Enfin des oasis, qui peuvent être des villes, ont trouvé un
milieu favorable sur le glacis méridional de la montagne, face au
désert. On y retrouve le système d’extraction de l’eau par drains qu’on
appelle ici falaj, et qui sont étonnamment semblables aux qanât iraniens.
C’est là qu’est implantée l’ancienne capitale de l’Imâmat, Nizwâ, qui
faillit ravir à la ville de la côte, Masqat, la primauté politique.
35C’est la zone
côtière qui est la plus vivante : la plaine de la Bâtina qui s’étend sur
30 km de large et plus de 200 km de long, est tout autre chose que la
Tihâma yéménite. Villes et villages s’y succèdent, avec des réserves
d’eau (venant de la montagne) qui ne sont pas négligeables. Là, sur les
premières pentes, se sont situées des villes, voire des capitales, comme
Suhâr ou Rustâq, avant que Masqat ne devienne le siège du Sultanat et
ne concentre l’essentiel de l’activité économique et politique du pays.
Mais ce sur quoi on ne saurait trop insister, c’est sur le rôle que joue
ici la mer : la tradition maritime des villes de la côte est en
contraste total avec les préoccupations terriennes du secteur
montagnard. Pendant des siècles, la côte de l’Oman a été le relais et
l’entrepôt du commerce entre l’Orient et l’Occident. L’activité stagnait
et même régressait lorsqu’elle fut brutalement interrompue par
l’intervention portugaise, au début du xvie
siècle, mais elle reprit, au bout d’un siècle d’occupation, quand les
verrous posés par les Occidentaux eurent sauté ; ainsi fut assurée la
liaison avec l’Inde toute proche, avec la Chine et avec la côte de
l’Afrique orientale, où l’île de Zanzibar resta jusqu’en plein xixe
siècle possession omanaise. De ces contacts lointains – et anciens – il
est résulté une curieuse symbiose ethno-culturelle, qui donne à l’Oman
une place très particulière parmi les autres pays de la péninsule.
PHOTOS 4 et 5. – Types de paysages : les reliefs en cuesta d’Arabie centrale.
Les plateaux calcaires tombent à la verticale sur les niveaux inférieurs. Au Jabal Tuwayq, le plus célèbre et le plus beau de ces reliefs, les falaises ont parfois plusieurs centaines de mètres de hauteur. Des massifs dunaires y pénètrent souvent (ci-dessus, à Hafîrat Nisâh). Ça et là, de petites oasis s’alimentent à la nappe phréatique et sont souvent remplacées par de grandes exploitations agricoles sur forages profonds. Ci-dessous, un des Qusûr Âl Muqbil (photos et légende : Paul Bonnenfant).
Les plateaux calcaires tombent à la verticale sur les niveaux inférieurs. Au Jabal Tuwayq, le plus célèbre et le plus beau de ces reliefs, les falaises ont parfois plusieurs centaines de mètres de hauteur. Des massifs dunaires y pénètrent souvent (ci-dessus, à Hafîrat Nisâh). Ça et là, de petites oasis s’alimentent à la nappe phréatique et sont souvent remplacées par de grandes exploitations agricoles sur forages profonds. Ci-dessous, un des Qusûr Âl Muqbil (photos et légende : Paul Bonnenfant).
36Ce rapport avec
la mer se retrouve, avec une moindre envergure, et avec un arrière-pays
immédiatement montagneux, dans les petits ports nichés dans les
anfractuosités de la presqu’île de Musandam : la pêche, le commerce et, à
l’occasion, la course y ont entretenu des liens subtils. Jadis groupés
dans la fédération des Qawâsim, les quatre émirats, maintenant inclus
dans la fédération des Emirats Arabes Unis, continuent à se distinguer
des autres émirats du Golfe : il leur manque l’arrière-pays
désertique... et le pétrole.
II. – LA PÉNINSULE ARABIQUE DANS LE FLUX DE L’HISTOIRE
Marginalité de la péninsule
37Comment, des
structures reflétant les adaptations pour ainsi dire primaires des
sociétés humaines aux dures conditions de vie dans la péninsule, est-on
passé à la mosaïque d’États qui se partagent maintenant, et totalement,
l’espace politique des Arabes ? De ce qui vient d’être décrit, en des
termes sans doute trop classiques d’ethno-géographie, on pourrait
inférer que, livrées à elles-mêmes, les populations se seraient fort
bien passées de la structure contraignante des États, et qu’elles se
seraient volontiers contentées d’une appartenance de principe à la
nation arabe, vécue plus comme une reconnaissance d’identité que comme
une superstructure politique. Même aux beaux temps de l’Empire arabe,
dont les capitales successives, Damas, puis Bagdad s’étaient fixées non
pas sur les lieux saints de l’Islam, mais sur les zones plus utiles,
économiquement, culturellement et stratégiquement mieux placées, du
Croissant fertile, la péninsule était restée marginale et pour ainsi
dire indifférente, voire étrangère, par rapport au pouvoir
politico-militaire du khalife. A plus forte raison quand le khalifat se
situa à Istanbul après 1517, s’identifiant avec la puissance ottomane !
Celle-ci se considérait comme étant en droit d’exercer sa suzeraineté
sur l’ensemble du monde arabe ; mais, à l’exception de quelques villes
où elle put installer des gouverneurs, et, épisodiquement, de quelques
provinces, l’occupation turque a rarement réussi à se maintenir dans la
péninsule. Elle a pu cependant profiter de circonstances particulières,
notamment dans le Golfe, où le fragile pouvoir des Émirs avait besoin de
contrepoids et de garanties pour éloigner les menaces qui pesaient sur
eux. Lorsqu’en 1853, le shaykh Jâbir Âl Sabâh, qui règne à Kuwait, cède à
la pression des Ottomans dont il accepte le protectorat, c’est pour
mieux résister à la pression du shaykh Rashîd, de la tribu des Shammar,
profitant de la ruine du premier État wahhâbite pour étendre son
pouvoir. Même jeu de bascule à Qatar où, au début des années 1870, pour
faire échec aux Anglais, le shaykh Jâsir Âl Thânî rend effective la
suzeraineté ottomane ; et de fait, il faudra attendre la fin de la
première guerre mondiale pour qu’un traité formel, dit de
« consultation », soit signé entre le shaykh ‛Abdallah, successeur de
Jâsir, et le gouvernement britannique.
38Une autre
puissance « impériale » pouvait avoir des visées sur la péninsule :
c’est l’Iran. On est là en présence d’une ligne de friction
traditionnelle, souvent à vif. La fin du xviiie
siècle avait été marquée par l’occupation de Basra par les troupes
iraniennes (1775). Si celle-ci devait être de courte durée, par contre,
l’Iran n’a cessé qu’en 1970 d’émettre des prétentions sur l’archipel de
Bahrain et sur la partie centrale du Golfe : Bahrain où subsiste une
forte proportion de shiites, subissant plus ou moins directement
l’influence iranienne.
39A l’inverse, les
marins d’Oman n’ont jamais considéré la rive opposée comme totalement
étrangère : Bahrain, au sens large du terme, sera longtemps dans la
dépendance d’une tribu omanaise, installée à Busha, sur la côte persane.
40Mais tout cela reste malgré tout assez marginal, et ne concerne guère la masse de la péninsule.
41Il y eut bien au début du xixe
siècle une armée qui tenta de s’y introduire : mais ce fut une armée
égyptienne, qui, en 1818, après une campagne difficile, sous la
direction de Muhammad ‛Alî puis d’Ibrâhîm son fils, mit fin au premier
état wahhâbite en détruisant sa capitale historique : ad-Dir‛îya. Les
tentatives de Muhammad ‛Alî pour prendre pied dans l’Asîr eurent moins
de succès, si bien que ce pays faillit devenir un État indépendant, sous
une dynastie idrîside, d’origine marocaine, qui se crut assez forte, en
1909, pour refuser l’allégeance formelle au gouvernement turc : mais ce
furent les Yéménites, sous l’imâm Yahyâ, qui intervinrent, en battant
le trop audacieux dynaste.
42Ce n’est pourtant
pas au Yémen que devait finalement revenir l’Asîr, mais à l’État
saoudien devenu maître de la majeure partie de l’Arabie aride. L’Egypte
n’avait pas dit son dernier mot pour autant : quand le nassérisme l’eût à
nouveau hissée au premier rang des pays arabes, en dotant son
gouvernement d’un potentiel idéologique considérable, les armées
égyptiennes intervinrent, non sans quelque ambiguïté, pour aider les
mouvements de libération qui, ici ou là, ébranlèrent les régimes
conservateurs. En Oman, parce que derrière le Sultan, il y avait les
Anglais, Nasser soutînt l’Imâm, laissa un bureau de l’Imâmat s’installer
au Caire sous la direction du frère de l’imâm, Tâlib ibn ‛Alî,
cependant qu’une armée dite de libération débarquait en Bâtina, pour
appuyer – vainement – une révolte curieusement qualifiée de
progressiste.
43Les choses furent
plus claires au Yémen où un détachement égyptien soutînt les éléments
révolutionnaires insurgés contre l’imâm. La guerre dite des Six Jours,
en 1967, mit fin à cette expédition.
Les intérêts anglais dans la péninsule Arabique
44En réalité, pendant la période qui s’étend de la fin du xviiie
siècle jusqu’aux années 1970, l’essentiel n’est ni dans les tentatives
désuètes d’exercice de la suzeraineté ottomane, ni dans le maintien des
prétentions iraniennes sur le Golfe, ni non plus dans
l’interventionnisme épisodique de l’Egypte : le jeu des forces
intérieures au monde musulman pèse bien peu en face de la puissance
grandissante de l’impérialisme britannique. L’une des données de fond de
la politique britannique dans cette partie du monde est la défense
coûte que coûte des voies d’accès à l’Inde, dont le Golfe est la
principale. Cela implique une intervention directe ou indirecte dans les
pays riverains, une action de consolidation des structures politiques
en voie de constitution, dans la mesure où elles peuvent aider à la
réalisation du dessein majeur de la politique britannique. Quant à
l’intérieur de la péninsule, il restera longtemps mystérieux, peu connu,
jusqu’à ce que, au xxe
siècle, s’y manifeste une prise de conscience politique de forces
prêtes à s’incarner dans des pouvoirs nouveaux, de caractère étatique.
Là aussi, les Anglais seront présents, sous la forme et avec la marque
de l’aventurisme exotique, du renseignement et de la clientèle... mais
un peu tard. Enfin, la maîtrise des mers ne s’acquiert pas sans la
possession de bases judicieusement choisies, aussi bien pour la
poursuite de la stratégie impériale ou impérialiste, que, techniquement,
pour constituer des relais soutiers indispensables. C’est même par là
que les choses ont commencé, lorsque, en 1839, un corps expéditionnaire
anglais s’empara d’Aden, admirable site portuaire, qui, complété, par
l’ilot de Périm, constitua une excellente vigie pour la surveillance du
détroit de Bâb al-Mandab. Aden, d’abord rattachée au gouvernement de
l’Inde, deviendra colonie de la Couronne en 1937, en même temps que se
constitue un glacis protecteur, par la constitution en protectorats des
petits sultanats ou émirats de l’intérieur. La valeur stratégique d’Aden
se trouvera considérablement accrue lorsque, après l’ouverture de
l’isthme de Suez en 1870, la mer Rouge deviendra un axe majeur de la
circulation maritime. Les Anglais boudèrent d’abord l’initiative
française de percement de l’isthme, mais ils n’eurent de cesse par la
suite de s’assurer le contrôle de l’administration du Canal. En même
temps, il s’agissait pour eux de ne laisser aucune puissance installer
une base qui soit à même de concurrencer Aden. La présence des Français à
Obock, puis à Djibouti, faisait figure de provocation, et de même celle
des Italiens à Massawa. L’activité portuaire sur la côte de la Tihâma
était moins redoutable : tout de même, et pour plus de sûreté, pendant
la première guerre mondiale, les Anglais détruiront le port yéménite de
Hudayda, alors sous contrôle ottoman.
45La politique
anglaise se manifeste de manière différente dans le Golfe, même si
l’objectif final est le même. Il ne s’agit plus, là, de s’assurer des
sécurités ponctuelles sur un itinéraire de haute mer, mais de contrôler
de bout en bout une voie d’accès où la puissance britannique entend
s’assurer une hégémonie politique exclusive.
46L’image que l’on
s’est faite en Europe du Golfe et des pays riverains a été profondément
marquée par un certain exotisme du désert. C’est oublier qu’il s’agit
d’une région où la vie maritime a toujours été intense : qu’elle a été
le point de départ des liaisons que les Arabes établirent très
précocement avec l’Inde, l’Asie du Sud-Est, l’Afrique orientale, au
départ d’une série de ports-entrepôts : Suhâr, Qalhat, Hormuz, établis
sur la rive septentrionale de l’Oman et sur la côte qui fait face. Les
Portugais ne s’y étaient pas trompés, eux qui, dès le début du xviiie
siècle, y établiront leur contrôle pendant près d’un siècle et demi.
Bahrain, région la plus peuplée du Golfe, sera un autre de leurs points
forts. Ils ne lâcheront prise qu’après l’intervention des Turcs et la
reconquête des principales villes par l’imâm Nâsir ibn Murshid, surgi de
l’intérieur. Les Anglais ne sortent pas innocents de cette aventure,
ayant durement poussé à l’« expulsion » des Portugais de cette zone
sensible. Une fois établis en Inde, ils auront un intérêt majeur à en
contrôler les accès, reconstituant à leur profit, à des fins
commerciales et stratégiques, les vieux itinéraires du commerce arabe au
départ du Golfe. Dès 1763, la Compagnie des Indes Orientales a son
siège à Basra. Elle devra se replier sur Kuwait, après le raid iranien
sur le fond du Golfe, Kuwait où elle établit un comptoir en 1793, et
installe un « Résident » en 1821. Tout part de là.
PHOTOS 6 et 7. – Types de paysages : les oasis de piémont.
Les eaux de ruissellement sur les montagnes d’Oman, du Hijâz ou du sud-ouest donnent naissance à des wâdîs, le plus souvent à sec, mais dont l’infero-flux permet l’irrigation de belles palmeraies. Ci-dessus, le wâdî Najrân au sud-ouest de l’Arabie Saoudite aux vastes demeures dispersées dans l’oasis ; un important barrage, tout neuf, permettra d’écrêter les crues et de régulariser l’approvisionnement en eau. Ci-dessous, al-Mudayrib, en Oman, entre la chaîne montagneuse du Hajar oriental et les dunes des Wahîba ; au fond, al-Qâbil des Hârthî, la célèbre tribu de savants et guerriers ibâdites (Photos et légende : Paul Bonnenfant).
Les eaux de ruissellement sur les montagnes d’Oman, du Hijâz ou du sud-ouest donnent naissance à des wâdîs, le plus souvent à sec, mais dont l’infero-flux permet l’irrigation de belles palmeraies. Ci-dessus, le wâdî Najrân au sud-ouest de l’Arabie Saoudite aux vastes demeures dispersées dans l’oasis ; un important barrage, tout neuf, permettra d’écrêter les crues et de régulariser l’approvisionnement en eau. Ci-dessous, al-Mudayrib, en Oman, entre la chaîne montagneuse du Hajar oriental et les dunes des Wahîba ; au fond, al-Qâbil des Hârthî, la célèbre tribu de savants et guerriers ibâdites (Photos et légende : Paul Bonnenfant).
47Naturellement, le
contrôle du Golfe passait par celui des zones côtières, au moins du
côté arabe. Comment les choses se présentaient-elles ?
48Si la majeure partie de la péninsule reste encore le domaine des tribus, quelque chose se passe au cours du xviiie
siècle, au contact de la mer. On assiste à une migration de certaines
fractions, depuis le Najd ou le Hijâz, en direction de la côte.
49Celle-ci n’est
pas vide d’établissements humains. A Kuwait, par exemple, à l’abri de
l’île de Faylaka, où l’archéologie témoigne de l’ancienneté des
civilisations qui s’y sont succédées, une population de marins, de
pêcheurs de perles et de commerçants vit en bordure de l’excellente baie
en eau profonde qui marque la côte. Une fraction de la tribu des
‛Anaza, originaire du Hijâz du nord, y arrive vers le milieu du xviiie
siècle et impose sa protection à la communauté pré-existante, y bâtit
une forteresse, Kût, et, par la suite, entoure la ville de murailles de
terre. Les shaykhs nouvellement installés fondent la dynastie des Âl
Sabâh, encore régnante.
50Le processus est
le même à Abu Dhabi, où pourtant il n’existait point de ville, et à
Dubayy où une activité commerçante ne tarde pas à se manifester de part
et d’autre d’une très belle anse, la seule depuis Kuwait. Mais ce sont
ici des Banû Yâs qui investissent la côte, à ceci près que les shaykhs
d’Abu Dhabi et de Dubayy appartiennent à des branches différentes et
souvent rivales du même groupe et que leur politique est orientée de
manière différente. L’un, depuis Abu Dhabi, est préoccupé surtout de ses
contacts avec les grandes oasis de l’intérieur al-Liwâ’ ou al-‛Ayn (qui
est une partie de l’oasis de Buraymî) ; l’autre, venu d’Abu Dhabi en
1884, tire parti, par le commerce et la contrebande, de l’admirable anse
de part et d’autre de laquelle se développe la ville. Au-delà de
Sharja, pourtant toute proche de Dubayy, commence le domaine de
l’ancienne fédération des Qawâsim ; l’entourage géographique, les
traditions anciennes, l’origine de la population en font un monde qui se
sent différent. A l’approche de la presqu’île de Musandam et du détroit
d’Hormuz, dans les anfractuosités de la côte rocheuse, la tradition de
la mer est restée vivace. Mais le commerce y prend volontiers la forme
de la course, répandant l’insécurité dans tout le Golfe par la pratique
de la piraterie. La Méditerranée avait aussi connu cela en d’autres
temps.
51Restent Qatar et
Bahrain, un moment unis, lorsque la famille des Âl Khalîfa, cousins des
shaykhs de Kuwait, émigre en 1766 et vient s’établir à Zubâra, centre de
pêcheurs de perles sur la côte nord de la presqu’île de Qatar. Les deux
territoires seront séparés lorsque le shaykh Âl Khalîfa viendra
finalement s’établir à Bahrain. A Qatar, ce sont, comme à Kuwait, des
nomades originaires du Najd, de la famille des Âl Thânî, qui viennent
s’établir. Ils garderont longtemps de mauvaises relations avec les émirs
règnant à Bahrain, ceux-ci maintenant contre vents et marées leur
prétention sur Zubâra.
52Tel est le tableau fort complexe, et sans doute fragile, devant lequel se trouvent les Anglais au début du xixe siècle.
53Certes, il a
fallu montrer sa force, en particulier en réduisant la fédération des
Qawâsim, dont la « course » menaçait le détroit d’Hormuz. En 1819, la
marine de la Compagnie des Indes attaque et détruit leur principale
place forte, Ra’s al-Khayma. Puis commence la phase diplomatique : c’est
à dire que l’on traite avec chacun des territoires, ce qui est plus
facile que de se mesurer à une autorité unifiée ; mais ce faisant, les
chefferies locales se trouvent confirmées, légitimées, ce qui leur
permettra, à l’ère des indépendances et du pétrole, de se présenter
comme des pays constitués. L’occasion des négociations ? La lutte –
quelque peu hypocrite – contre la traite des esclaves et la piraterie.
C’est ainsi que les traités se succèdent. En 1820, traité avec les émirs
de l’ancienne Côte des Pirates et avec l’émir de Bahrain, qui
s’engagent à ne pas s’attaquer aux bateaux anglais. En 1853, signature
d’une trève perpétuelle (et ainsi, la « Côte des Pirates » se mue en
« Trucial Coast », la Côte de la Trève). En 1892, signature de
l’« Exclusive Agreement », par lequel les émirs s’engagent à
n’entretenir de relations avec des puissances étrangères que par
l’intermédiaire de l’Angleterre. Le dispositif s’étendra en 1899 à
l’émirat de Kuwait et, bien plus tard, en 1946, à Qatar.
54On peut s’étonner
de la facilité avec laquelle les Anglais ont étendu leur réseau
« protecteur » sur le Golfe. Outre le spectacle de la puissance maritime
de l’Angleterre, le souhait de la part des émirs de contrebalancer la
puissance ottomane à dû jouer : ce mobile est clairement formulé à
Kuwait par le shaykh Mubârak avant la signature du traité. De même, à
Bahrain, la suzeraineté ottomane est clairement dénoncée. C’est à Qatar
que les choses se sont passées le moins bien : la presqu’île avait été,
après 1870, incorporée à la province ottomane d’al-Hasâ ! La garnison
turque ne sera expulsée qu’en 1916, à l’occasion de la première guerre
mondiale, et l’accord instituant un véritable protectorat anglais ne
sera signé qu’après la deuxième guerre mondiale.
55Aussi souple
qu’ait été le système, les Anglais ont été malgré tout obligés de le
concrétiser sur place par un personnel de contrôle : c’est ainsi qu’un
« Arab Residency Agent » est installé à Sharja, jusqu’à ce que en 1954
le quartier-général anglais soit transféré à Dubayy. C’est aussi le
moment où s’organise in extremis, une milice, les « Trucial
Oman Scouts », entraînés par des officiers anglais. Mais pour
l’essentiel, c’est à Bahrain qu’est le centre d’influence et de contrôle
de l’Angleterre, ou plus exactement du gouvernement de l’Inde pour le
compte de l’Angleterre. Plus tard, l’Angleterre engagera Bahrain dans un
processus de modernisation et, jusqu’à une certaine mesure de
démocratisation qui culminera en 1970 par la création d’un Conseil
d’État assistant l’Émir dans le gouvernement du pays.
La formation de l’État wahhâbite
56Comme on le voit,
c’est à la circulation maritime, et donc aux régions côtières que
s’intéresse la politique anglaise. Elle ne se hasarde guère à pénétrer à
l’intérieur de la péninsule, dans ce monde encore mal connu de tribus
arabes et de villes difficilement accessibles. Les Turcs eux-mêmes n’y
étaient pas à l’aise et leur effacement relatif était tout ce que
pouvaient désirer les Anglais. C’est pourtant là, contre toute
prévision, que va se constituer, en deux temps, un pouvoir capable de
faire sentir sa pression sur presque tout le territoire de la péninsule,
et de viser à son unité. Mais pour cela il fallait que s’ajoutât, à la
combativité traditionnelle des tribus, un modèle idéologique qui tout à
la fois entraîne, unifie et finalement cristallise les énergies autour
d’un projet politique. C’est le rôle que joue, dans la première moitié
du xviiie
siècle, la prédication réformiste de Muhammad ibn ‛Abd al-Wahhâb,
lorsqu’il eut fait alliance avec le shaykh d’ad-Dir‛îya, Muhammad ibn
Sa‛ûd. Une force politico-militaire, dotée d’une idéologie exigeante,
venait de naître, qui ne devait pas tarder à se manifester par une série
de raids, à travers presque toute l’Arabie : les shiites sont
particulièrement menacés, et leurs sanctuaires détruits, à al-Qatîf et
Karbalâ’. Les lieux saints de l’Islam reçoivent aussi la visite des
wahhâbites qui détruisent les « pièces rajoutées » aux sanctuaires de La
Mekke et Médine. La pression des troupes saoudiennes se fait sentir
jusqu’au Yémen, dans la Tihâma, jusqu’au Hadramawt, ainsi qu’aux limites
de l’Oman, dans l’oasis « stratégique » de Buraymî. C’est ce premier
État wahhâbite, œuvre surtout de ‛Abd al-‛Azîz, fils de Muhammad ibn
Sa‛ûd, que les armées de Muhammad ‛Alî puis d’Ibrâhîm, réduiront à
néant. Le xixe
siècle est pour les wahhâbites, au sens propre du terme, la traversée du
désert. On peut même croire un moment que, si un pouvoî devait
s’instituer au Najd, il se constituerait avec l’appui des Turcs, au
profit d’une famille rivale, celle des Rashîd, de la tribu des Shammar,
établie autour de leur résidence de Hâ’il. Mais la souche wahhâbite
n’était pas disparue. De leur exil de Kuwait, les Saoudiens
ressurgissent au début du xxe
siècle. Leur chef ‛Abd al-‛Azîz ibn ‛Abd ar-Rahmân ibn Sa‛ûd (Ibn
Saoud) récupère Riyâdh en 1902, jette les Ottomans hors de Hufûf (non
sans la connivence des Anglais), ce qui ne l’empêche pas de demander et
d’obtenir de la Porte le titre de gouverneur, wâlî, du Najd.
L’État wahhâbite se trouvait donc reconstitué et même « légalisé » sous
la traditionnelle et très provisoire suzeraineté de l’Empire Ottoman.
Dans les faits, le Najd ne sera vraiment unifié et tout danger écarté
qu’après la prise de Hâ’il, dernier témoin de l’ébauche d’un État
concurrent.
57Entre temps est
intervenue la première guerre mondiale. L’appel à la guerre sainte
lancée par le Shaykh al-Islâm, à la solde des Turcs, a peu d’écho dans
la péninsule. Par contre les Anglais, qui jouent la carte de
l’indépendance, sans la promettre formellement, contre les forces de
l’Empire Ottoman, déclenchent la révolte des Arabes, à l’intérieur de
laquelle T. E. Lawrence inscrira son aventure personnelle. L’espérance
mise sur l’effacement de la puissance ottomane retentit dans tout le
monde arabe, qui n’a jamais accepté qu’à contre-cœur la suzeraineté
turque. Ainsi naît un mouvement de libération, qui mise sur la proche
accession à l’indépendance. La révolte trouve une caution et des
encouragements dans les intrigues de T. E. Lawrence. C’est évidemment au
Levant et dans les pays du Croissant fertile que les espérances
semblent devoir se concrétiser le plus facilement, parce qu’elles sont
assumées par des équipes organisées, politiquement informées et qui
misent sur leur accession au pouvoir.
58En fait, ni la
Grande-Bretagne, enserrée dans sa tradition impérialiste, ni la France,
partie prenante dans le jeu politique au Levant, n’entendent perdre
cette occasion d’exercer enfin leur influence directe dans la région,
sans se préoccuper outre mesure des aspirations du monde arabe à
l’indépendance. Quant au troisième partenaire potentiel, la Russie, il
est provisoirement absent de la scène diplomatique et ses concurrents
traditionnels en profitent.
PHOTOS 8 et 9. – Types de paysages : la région pétrolière.
Des ondulations très douces tissées d’oléoducs et de lignes à haute tension, des installations pétrolières avec leurs torchères et leurs panaches de fumée noire, un désert parcouru par quelques bédouins, de plus en plus rares : c’est la région pétrolière dont la côte perdue entre ciel et mer se noie très doucement dans les eaux du Golfe (Photos et légende : Paul Bonnenfant).
Des ondulations très douces tissées d’oléoducs et de lignes à haute tension, des installations pétrolières avec leurs torchères et leurs panaches de fumée noire, un désert parcouru par quelques bédouins, de plus en plus rares : c’est la région pétrolière dont la côte perdue entre ciel et mer se noie très doucement dans les eaux du Golfe (Photos et légende : Paul Bonnenfant).
59Aussi, sans même
attendre la fin de la guerre, la Grande-Bretagne et la France règlent
dans des accords secrets, le sort du Moyen-Orient : le monde arabe sera
partagé, et les zones d’influences érigées en pays sous mandat ce qui,
mis à part le droit de regard tout théorique de la Société des Nations,
ressemble fortement au régime classique des protectorats.
60Il est vrai que
le partage concerne seulement le Croissant fertile. Pourtant l’amertume
et la déception sont ressenties de manière très profonde ; les Arabes se
considèreront comme joués et ils l’ont été en effet, toutes les
promesses des Alliés n’ayant eu d’autre but que stratégique (prise à
revers de la Turquie) pour aboutir finalement à une tutelle exercée
respectivement par la Grande-Bretagne et la France.
61Comment les
choses se passent-elles dans la péninsule ? Une puissance unitaire vient
de s’y constituer, celle de l’État wahhâbite. Or, devant les
perspectives ouvertes par la révolte arabe et l’effacement de la
puissance ottomane, les wahhâbites campent provisoirement sur leurs
positions. L’appui apporté par les Turcs aux Rashîd de Hâ’il les
inclinerait plutôt du côté des Anglais, comme les sollicitent de le
faire Sir J. Philby, l’agent secret détaché auprès d’Ibn Saoud par le
gouvernement anglo-indien. Mais une fâcheuse expérience, tentée en 1915,
et qui avait abouti à une défaite, l’incite à rester sur la réserve.
62D’ailleurs, les
Anglais misent alors sur un autre personnage, le sharîf Husayn, de la
famille hâshimite, qui règne sur le Hijâz. Or le Hijâz, c’est non
seulement la barrière qui s’oppose à l’expansion des wahhâbites jusqu’à
la mer Rouge, mais c’est aussi, pour qui en est le maître, le prestige
attaché à la garde des Lieux Saints.
63Se croyant plus
appuyé par les Anglais qu’il ne l’est en réalité, le sharîf Husayn se
pare en 1919 du titre inusité de roi des Arabes, comme s’il était le
seul héritier de la révolte capable d’unifier la péninsule. Ibn Saoud
donne alors un premier coup de semonce en s’attaquant aux troupes
hâshimites vaincues à la bataille de Turaba. Quelques années plus tard,
en 1924, quand le sharîf Husayn se fait attribuer cette fois le titre de
calife, devenu vacant depuis la déposition de Muhammad II, Ibn Saoud
décide d’en finir. Ses troupes font mouvement vers La Mekke qu’elles
occupent en octobre 1924. Il ne restera plus à Ibn Saoud, qui s’était
proclamé lui-même roi du Hijâz en 1924, qu’à se faire confirmer roi du
Najd et du Hijâz, après le congrès islamique de La Mekke en 1930. Ce qui
fut fait.
Les forces politiques dans le sud de la péninsule Arabique
64La formation des
États dans le sud de la péninsule relève d’un schéma différent : tout
simplement parce qu’il s’agit de pays ayant depuis très longtemps une
structure politique plus ou moins élaborée et une histoire spécifique
qu’on pourrait dire nationale, si le mot n’était aussi lourd d’un
contenu marqué par l’histoire des États occidentaux.
65Il faut se rendre
compte que le Yémen comme l’Oman appartiennent à un autre univers de
relations que le reste de la péninsule. Il serait difficile, à leur
égard, de parler de marginalité. On est ici si proche de la corne de
l’Afrique, de l’Inde, et naturellement de l’Iran ! Le passé du Yémen est
lié à l’Abyssinie au moins autant qu’à l’Arabie, et qui parcourt encore
maintenant la Tihâma méridionale pourrait se croire en Afrique,
n’étaient l’architecture civile à la turque de Hudayda et les mosquées
de Zabîd, liées aux plus authentiques valeurs culturelles de l’Islam
arabe. En Oman, c’est au milieu d’une population très largement iranisée
que les tribus arabes sont venues s’installer au iie
siècle av. J. C, et les Iraniens ne manqueront pas d’intervenir à
plusieurs reprises en Oman, la toute dernière fois dans les années 70 de
ce siècle, pour mettre fin à la tentative de subversion et de sécession
du Dhufâr. Les souches indiennes sont également nombreuses dans la
population. Encore maintenant, une partie du commerce du souk de Matrah
est entre les mains de marchands indiens.
66L’Islam aurait pu
jouer, ici comme en bien d’autres pays, un rôle unificateur, qui aurait
supprimé la différence entre le sud de la péninsule et tout le reste.
Mais précisément, la spécificité des deux pays a pu se maintenir parce
que, dans les réduits montagneux qu’ils comportent l’un et l’autre, ont
pu se regrouper des sectes déviantes par rapport à l’orthodoxie sunnite.
Toutefois, cela ne s’est pas fait sans de multiples affrontements, ni
sans que subsistent aussi des groupes fidèles à l’orthodoxie. L’histoire
des deux pays a été marquée par bien des luttes, où le tribalisme le
disputait au religieux pour alimenter la discorde.
La construction de l’État yéménite
67Dès 893 de l’ère
chrétienne, une dynastie zaydite s’établit à Sa‛da, dans le nord du
Yémen. Il s’agissait d’une secte shiite, fondée à Kûfa par un arrière
petit-fils de l’imâm ‛Alî, et qui, après une tentative d’installation
sur les bords de la Caspienne, avait trouvé refuge dans les montagnes du
Yémen. C’est aussi pour ce pays l’occasion de prendre ses distances par
rapport à l’empire ‛abbâside, qui persécute les dissidents. Ainsi
débute une histoire compliquée où apparaît parfois une séparation entre
le haut pays, dominé effectivement par les zaydites, et les moyen et bas
pays restés en majorité sunnites. Il faut, au xvie
siècle, une intervention égyptienne puis turque, pour que se
reconstitue l’unité du pays contre l’envahisseur sous une nouvelle
dynastie zaydite. Unité fragile et qui se brise, aussitôt disparue la
menace « étrangère ». Ainsi le Yémen mène-t-il une vie
semi-indépendante, avec une économie un peu languissante, peu armé qu’il
est en face des dangers qui le guettent.
68Au xixe
siècle encore, la frontière nord reste instable : les Turcs
parviendront à grignoter une partie de la Tihâma, au départ de l’Asîr,
et il ne faudra pas moins qu’un jihâd, guerre sainte déclarée
par l’imâm Yahyâ, pour les faire lâcher prise, et pour obtenir d’eux, en
1915, la reconnaissance de la souveraineté du Yémen, assortie il est
vrai de quelques restrictions formelles. Mais le problème n’est pas
résolu pour autant, la dynastie saoudienne n’hésitant pas à reprendre
les prétentions ottomanes en occupant Hudayda et le nord de la Tihâma en
1934 ; le traité de Taif devait, la même année, rétablir un statu quo fragile.
69Le vrai danger
n’est pas là : depuis 1839, les Anglais sont installés à Aden, qui,
d’abord rattachée au gouvernement de l’Inde, deviendra colonie de la
Couronne en 1937. Pour améliorer la sécurité de la colonie, ils étendent
peu à peu leur protectorat sur les petits émirats ou sultanats de
l’intérieur. Ainsi, le sud du Yémen se trouve-t-il finalement organisé
en deux fédérations sous protectorat anglais, le Protectorat de l’Ouest
comprenant neuf « cantons » pratiquement détachés du Yémen depuis le xviiie
siècle, et le Protectorat de l’Est, comprenant le Wâdî Hadramawt, la
région côtière à l’est d’Aden et pendant un temps l’île de Socotra.
Encouragé par ses bonnes relations avec l’Italie mussolinienne et
soutenu par une délégation soviétique, l’imâm Yahyâ tente bien en 1927
de récupérer ce qu’il considère comme partie intégrante de son royaume.
Mais la résistance des Anglais et la persistance de la menace saoudienne
aux frontières nord amènent l’imâm à composer. La question reste
ouverte...
70Phénomène curieux en ce début du xxe
siècle où l’imam Yahyâ parvient à peu près à consolider les fondements
de l’État yéménite, c’est ce même Imâm qui veille à la fermeture du pays
pour lui éviter toute contagion venant de l’étranger. En réalité,
soutenu par la féodalité zaydite, il le plonge dans un sommeil qui
recouvre un conservatisme total.
L’unification de l’Oman
71En Oman,
l’évolution ne serait pas tellement différente si, au contraire du
Yémen, le pays n’avait été doté d’une frange côtière active,
traditionnellement ouverte sur l’extérieur. Quoique le pays ait été plus
récemment – et incomplètement – arabisé, là aussi l’Islam aurait pu
aider à son intégration dans le reste de la péninsule. Mais, comme au
Yémen, ni l’autorité des califes ummayades, ni celle du gouverneur du
Hijâz, leur représentant dans la péninsule, n’est reconnue : le meilleur
moyen de maintenir cette autonomie se trouve dans l’adhésion à un Islam
non orthodoxe, ici le khârijisme et surtout l’ibâdisme, qui en est une
forme atténuée. Ce sera donc autour des imâms ibâdites élus par la
communauté que se fera jour la notion d’un État omanais, au moins dans
la montagne, où s’opère la fusion entre tribus arabes et sédentaires des
villages autour de la capitale, Nizwâ. Mais les principes égalitaires
et, pour une part libertaires, de l’ibâdisme, s’ils conviennent au
gouvernement de communautés limitées et relativement isolées,
s’accommodent mal des exigences de la vie d’un État.
72Toutefois, à la
différence du Yémen, toute l’histoire du pays ne se résume pas dans
celle de l’intérieur du pays. En effet, la Bâtina, au contraire de la
plaine côtière du Yémen, est un lieu d’échanges, extrêmement vivant,
somme toute assez indifférent à ce qui se passe dans la montagne. Suhâr,
puis Qalhat et Hormuz, ont été de très grands ports dont la prospérité
n’a été interrompue que par la brutalité de l’intervention portugaise,
et bien plus tard, par le court-circuitage opéré par le creusement du
canal de Suez, qui mettait l’océan Indien à portée de mains des
Occidentaux. Ce dualisme est symbolisé par le nom que porta longtemps le
pays : Masqat et Oman.
73De fait, entre la
montagne et la côte, l’unité ne s’est pas réalisée facilement. Elle a
failli se faire dès la deuxième moitié du xviie
siècle, sous l’imâm ibn Murshid, vainqueur des Portugais. Mais elle ne
dura pas : ce fut de nouveau la guerre entre tribus et l’intervention
étrangère, cette fois du fait des Perses. Ce n’est qu’en 1744, après la
défaite des Perses à Suhâr qu’émerge un nouvel imâm, Ahmad ibn Sa’îd,
fondateur de la dynastie qui règne encore à Masqat. Pourtant les jeux ne
sont pas encore faits : dans les années 50 de notre siècle, les deux
pouvoirs se séparent encore et s’affrontent, celui du Sultan sur la côte
et celui de l’Imâm à l’intérieur, jusqu’à ce que la tentative de
« libération », téléguidée depuis Riyadh et Le Caire, échoue finalement
et que l’autorité du sultan Sa’îd ibn Taymûr soit reconnue sur
l’ensemble du pays. Mais c’est après une véritable reconquête par les
troupes anglaises que la victoire est acquise : c’est que l’enjeu a
soudain changé de nature, avec la découverte du pétrole dans
l’arrière-pays : on ne joue pas avec le feu !
PHOTOS 10 et 11. – Types de paysages : les oasis du Najd.
Ici, l’oasis d’az-Zilfi s’étend dans la plaine entre deux paysages caractéristiques du Najd : un relief de cuesta (rebord de plateau calcaire) et les dunes du Nafûd ath-Thuwayrât. La nouvelle route Riyadh-Burayda par le Sudayr, ici en construction (1974), passe entre le village nord (en haut) et le village sud (en bas). Elle les a rassemblés aujourd’hui en une seule ville, attirant à elle administrations nouvelles, commerces et spéculation foncière (Photos et légende : Paul Bonnenfant).
Ici, l’oasis d’az-Zilfi s’étend dans la plaine entre deux paysages caractéristiques du Najd : un relief de cuesta (rebord de plateau calcaire) et les dunes du Nafûd ath-Thuwayrât. La nouvelle route Riyadh-Burayda par le Sudayr, ici en construction (1974), passe entre le village nord (en haut) et le village sud (en bas). Elle les a rassemblés aujourd’hui en une seule ville, attirant à elle administrations nouvelles, commerces et spéculation foncière (Photos et légende : Paul Bonnenfant).
74Car les Anglais,
qui avaient si bien étendu leur protection sur les pays du Golfe,
n’avaient pas pour autant négligé l’Oman. Dès le milieu du xviie
siècle, on les voit porter assistance à l’imâm Nâsir, dans la dernière
manche contre les Portugais ; leur intérêt ne fera que croître avec le
temps, vu la proximité de l’Inde et la position stratégique de l’Oman à
la sortie du Golfe. En 1798, ils eurent de bonnes raisons de craindre
que la France, dans la lancée de l’expédition d’Egypte, ne tente de leur
barrer la route avec l’accord du sultan d’Oman. Et les coups de
boutoirs des premiers wahhâbites sur Buraymî pouvaient aussi leur
apparaître comme une menace sur Masqat. Ils éviteront pourtant pendant
longtemps toute intervention directe, se bornant à étendre leur contrôle
sur Zanzibâr, source appréciable de richesse pour le Sultan, puis à
soutenir par des prêts le pays ruiné – avec comme contrepartie la
limitation de son indépendance. En 1891, Londres obtenait, par traité,
un droit d’intervention, au cas où des dangers extérieurs ou intérieurs
viendraient menacer la sécurité du Sultan. C’est précisément le moment
où la France développe sa politique coloniale dans l’océan Indien et
tente d’obtenir l’usage d’un port charbonnier sur la côte de l’Oman.
Mais la chasse était bien gardée et l’incident fit long feu. Les troupes
anglaises ne quitteront plus le territoire de l’Oman.
75Toutefois, comme
au Yémen, la reconstitution tardive de l’unité s’accompagne d’une
anesthésie totale du pays, imposée par le sultan Sa‛îd ibn Taymûr qui
craint plus que tout l’infiltration des mœurs étrangères, jugées
corruptrices et impures. Cela n’empêche pas les Anglais d’être présents,
au Yémen comme en Oman, à Bâb al-Mandab comme au détroit d’Hormuz,
directement et par annexion au Yémen du Sud, par la voie plus souple
d’un protectorat de fait en Oman, dont l’unité finale est en bonne
partie leur œuvre.
III. – L’INDÉPENDANCE DANS LE PÉTROLE ET LE REPLI DES FORCES BRITANNIQUES
76Ainsi, quand commence la deuxième moitié du xxe
siècle, il ne reste rien de la marginalisation politique et toujours
partielle de la péninsule Arabique, qui avait été la règle et la
tendance au temps de l’empire arabe puis de l’empire ottoman ; il ne
reste rien : la péninsule toute entière, malgré ses allures extérieures
encore parfois mystérieuses et étranges, a été gagnée par la
mondialisation de l’histoire. Mondialisation qui est la projection à
grande distance des pouvoirs lointains et d’une stratégie éléborée en
Occident. C’est ici la chasse gardée de l’impérialisme anglais, l’ombre
portée de l’Inde couvrant tout ce qui de près ou de loin peut en menacer
la sécurité ; le moyen privilégié, outre l’annexion de bases comme
Aden, avait été l’extension des protectorats, et donc, ipso-facto, la
consolidation des partenaires, dès lors qu’ils avaient accepté les
limitations de souveraineté et le contrôle imposés par les traités.
Reste évidemment tout l’intérieur, où rôdent les agents de
renseignements mais où la tentative d’extension de l’influence anglaise,
au lendemain de la première guerre mondiale et de la révolte arabe, a
échoué assez piteusement : en se servant de la famille hâshimite et de
la maîtrise possible de la péninsule par un Hijâz soumis à son
influence, l’Angleterre a misé sur le mauvais cheval, et l’affaire se
solde pas l’achèvement de l’État wahhâbite qui est à l’époque le seul
pays arabe formellement et réellement indépendant (outre le Yémen, mais
un Yémen mutilé et pauvre, incapable de reconstituer son unité !). En
l’occurence, la politique anglaise paraît bien archaïque, inspirée par
des méthodes de noyautage par familles notables féales interposées,
méthodes qui sont déjà complètement dépassées.
77Mais la stabilité
du contrôle politique suppose évidemment que se maintienne un équilibre
mondial susceptible d’assurer la prééminence de l’Occident et la
cohésion des formations impériales ou coloniales sur lesquelles elle
repose. Elle suppose aussi que la passivité des territoires soumis ou
protégés continue à s’alimenter dans la pauvreté, allant de pair avec
l’absence de prise de conscience politique.
La révolution pétrolière
78Toutes choses qui
vont basculer, en un spectaculaire renversement, où la seconde guerre
mondiale joue le rôle de pivot : l’histoire de la péninsule Arabique, en
ces trente années décisives, n’est au demeurant qu’un des aspects d’un
bouleversement extraordinaire, à l’échelle mondiale, dont les aspects
visibles sont la décolonisation, la nouvelle localisation des sources
d’énergie et l’élaboration d’une nouvelle stratégie politique où
l’Occident européen n’a plus guère qu’un modeste rôle d’appoint.
79La première
« chance » de la péninsule n’est pourtant pas liée aux événements qui
mettent en jeu l’existence même des pays européens dans les années 1940.
Elle se trouve dans la confirmation de l’existence d’énormes réserves
pétrolières au Moyen-Orient, et notamment dans ces émirats dérisoires,
sur lesquels s’était appuyée la politique anglaise à de toutes autres
fins ! C’est à Bahrain, en 1932, qu’est réalisé le premier sondage
productif et construite la première raffinerie ; c’est en 1933, pour la
première fois, qu’est accordée une concession à une compagnie
américaine, en Arabie Saoudite. Mais ce n’est qu’après la guerre que
sont mis en place les principaux équipements et que débute véritablement
l’exploitation des gisements, avec une vertigineuse ascension de la
production : le Moyen-Orient qui fournissait, en 1938, 5,7 °o de la
production mondiale de pétrole, assure en 1977 36,6 % de cette
production ; les États du Golfe, pour leur part, produisent 61,1 % de la
production du Moyen-Orient et 22,5 % de la production mondiale.
80La grille des
États, répartis dans la zone productive, c’est-à-dire sur la rive arabe
du Golfe (y compris l’Arabie Saoudite pour sa « fenêtre » du Hasâ où se
trouve précisément l’un des principaux gisements) va naturellement être
utilisée pour l’attribution des concessions et la répartition des
profits : les négociations menées par les compagnies avec chaque émirat
ne sont pas moins dérisoires que les traités qui assuraient, par États
interposés, la suprématie anglaise dans le Golfe. A deux différences
près pourtant : il y a d’abord le fait qu’il y a maintenant non plus
seulement un enjeu politique, celui de la sécurité sur la route de
l’Inde, mais des intérêts matériels considérables, qui importent autant
aux consommateurs, c’est-à-dire aux pays industrialisés, qu’aux pays
producteurs. Les émirats naguère démunis, sans défense et sans avenir,
en raison de la pauvreté physique de leur climat et de leur sol, vont,
si j’ose dire, prendre corps du fait de la richesse de leur sous-sol,
dont ils profitent immédiatement sous la forme de « royalties »
inespérées encore que peu importantes par rapport au profit global. Ils
deviennent en outre des bénéficiaires privilégiés qui se bornent
d’abord à grignoter pour obtenir l’augmentation de leur part, mais qui
deviendront des preneurs de plus en plus avides de réaliser leurs
richesses potentielles et d’exercer leurs droits sur l’exploitation de
leur sous-sol.
81Une autre
différence avec la situation antérieure est que dorénavant le
signataire, la puissance représentant le consommateur, n’est plus un
État, mais une compagnie. On est « au plus pur et au plus dur » des
structures capitalistes. Pourtant les structures politiques ne sont pas
absentes et la concurrence entre les diverses compagnies est souvent
sous-tendue par les intérêts nationaux. Du coup, le fait nouveau est
qu’il n’y a plus de chasse gardée britannique : les intérêts anglais
restent directement représentés, par exemple à Kuwait par B. P. (British
Petroleum Co), et à Qatar et en Oman, par B. P. et par Shell. Mais plus
souvent, c’est par la création de filiales de l’I.P.C. (Irak Petroleum
Company), consortium européen constitué au lendemain de la première
guerre mondiale pour l’exploitation des gisements de l’Irâq, que
l’Angleterre se trouve présente, avec ses partenaires, sur les rives du
Golfe, par exemple à Qatar, avec la Q.P.C. (Qatar Petroleum Company) ou à
Abu Dhabi avec l’A.D.P.C. (Abu Dhabi Petroleum Company). Mais ce qui
caractérise maintenant le découpage du territoire entre les compagnies,
c’est l’apparition de deux nouveaux comparses ou concurrents : les
États-Unis et le Japon.
82Les compagnies
américaines sont sur place dès 1930, avec la formation de la B.A.P.C.O.
(Bahrain Petroleum Company) derrière laquelle il y a la Standard Oil of
California qui conclut presque aussitôt un accord avec CALTEX
(California Texas Oil Company). Le coup de maître des compagnies
américaines est la signature en 1935 d’un accord de concession avec
l’Arabie Saoudite, pour l’exploitation du gisement de Dammâm : c’est
l’acte de naissance de l’ARAMCO (American Oil Company), qui non
seulement vient à point donné confirmer et conforter la construction
politique saoudienne en lui fournissant la base économique qui lui
manquait, mais encore constitue dorénavant une sorte de pouvoir
parallèle, un État dans l’État, dont la puissance sera longtemps
inégalée. Les intérêts américains sont également présents à Kuwait où le
conflit d’intérêt avec B. P. aboutit à un compromis avec la Gulf
Company pour former la K.O.C. (Kuwait Oil Company), et dans la Zone
Neutre constituée entre Kuwait et l’Arabie Saoudite, avec AMINOIL
(American Independant Oil Company) et GETTY. Les capitaux américains
sont beaucoup moins massivement représentés dans la partie orientale du
Golfe. C’est en particulier une société à capital purement européen (2/3
B. P. et 1/3 C.F.P.), l’ADMA (Abu Dhabi Marine Areas), qui exploite les
gisements des fonds marins autour de l’îlot de Dâs.
83L’autre pays à
revendiquer sa part est le Japon, tout à fait nouveau venu, dans ce
genre d’opération, mais dont le besoin de sources extérieures d’énergie
ne cesse de grandir : à Qatar, le capital japonais représenté par la
Qatar Oil Company obtient une large concession off shore. Il en va de même de l’A.O.C. (Arabian Oil Company), compagnie à capital japonais, qui exploite à partir de 1958 le gisement off shore de la Zone Neutre.
84L’énumération de
ces parties prenantes suffit pour situer la nouvelle chaîne de pouvoirs
qui s’établit dans ceux des États arabes dont le sous-sol recèle des
ressources pétrolières, c’est-à-dire ayant façade sur le Golfe. La part
du « propriétaire » y est assurée à travers un système de comptabilité
très compliquée et dans une atmosphère d’instabilité des cours, qui agit
généralement à la baisse sur les recettes réelles des États. Il faut
attendre les années 50 pour qu’un partage (théorique) par moitié
remplace peu à peu le système des royalties fixées : le partage poussé à
55 % pour les pays producteurs sera généralisé in extremis par
les accords de Téhéran, en 1971. Les compagnies ont eu le temps de
parfaire l’équipement d’exploitation sans que la vie des pays intéressés
en soit grandement modifiée : mise au point du réseau des oléoducs pour
l’évacuation du brut et notamment construction de la Tap Line
(1947-1950) qui joint les gisements d’Arabie Saoudite aux ports
méditerranéens ; création de terminaux sur la côte même du Golfe, et le
tout premier, Ahmadî, au sud de Kuwait, où se construit une ville à
l’anglaise, à bonne distance de la capitale ; pose de l’« araignée » des
collecteurs autour de l’îlot de Dâs ; construction de raffineries à
Sitra (Bahrain) et à Ra’s Tannûra (Arabie Saoudite), la première étant
approvisionnée par oléoduc sous-marin depuis Dammâm, etc. Tout ceci
plaqué sur le pays et, j’allais dire, l’intéressant assez peu.
85Jusqu’à ce qu’une
double évolution inverse la situation. D’une part, une transformation
radicale du rapport de participation, à l’intérieur des compagnies, en
faveur des pays producteurs, le processus pouvant aller jusqu’à la
nationalisation. C’est dans les pays du Golfe que l’évolution est la
moins brutale, mais la participation des États, ou des compagnies
nationales fondées tout exprès, s’élève progressivement pour atteindre
éventuellement les 100 %.
86D’autre part,
après des années d’atermoiements de l’Organisation des pays exportateurs
(OPEP), fondée en 1960 et même de l’Organisation arabe similaire
(OPAEP) fondée après la guerre de 1967, les six pays arabes du Golfe,
producteurs de pétrole, renversant les rôles, fixent eux-mêmes le prix
réel du baril en 1973. Coup de tonnerre pour les pays industriels, dont
une partie de la prospérité était basée sur le bas prix de l’énergie.
Mais aussi coup de baguette magique qui transforme la vie des pays
producteurs, même si les hausses qui suivent, calculées en monnaie
constante, n’ont pas l’aspect foudroyant que leur prêtent volontiers les
pays industriels. Mais quand on part de bien bas...
87C’est en tous cas
un branle-bas inouï : les émirats se dotent d’équipements urbains,
d’une infrastructure de communications, et font aussi profiter leurs
nationaux d’avantages économiques et sociaux considérables, cependant
que la foule des deshérités de la rive nord du Golfe et du Pakistan et
de l’Inde accourt, pour fournir la main-d’œuvre nécessaire et se nourrir
des miettes de la manne pétrolière. Il y a peu de pays au monde qui
aient subi en si peu de temps une mutation aussi profonde et aussi
spectaculaire, s’accompagnant d’un coup de l’adoption de techniques
occidentales, totalement étrangères aux aspects matériels de la
civilisation traditionnelle. Quant aux aspects moraux, c’est une autre
histoire, et il est plus difficile d’en juger.
88L’impact
pétrolier sur l’Oman a été beaucoup plus tardif, les premiers forages,
dans les années cinquante, s’étant révélés stériles : ce n’est qu’en
1947 puis en 1970, que des découvertes réalisées dans le désert au sud
de la région montagneuse ont donné une production appréciable, aussitôt
exportée, grâce à la construction d’un oléoduc et d’un terminal à Mina’
al-Fahal. Si la situation du port lui donne l’avantage d’un itinéraire
maritime notablement plus court vers les pays consommateurs, la pauvreté
relative des gisements et l’élévation des frais d’exploitation privent
l’Oman d’un certain nombre des avantages dont jouissent les autres pays
du Golfe. Que dire des plus petits émirats de la fédération des Émirats
Arabes Unis, ceux de la presqu’île de Musandam qui, eux, n’ont pas du
tout de pétrole ! Le Yémen aussi, restera sans pétrole !
Le repli des forces anglaises
89Quand naît et se développe la révolution du pétrole, les structures politiques sont encore celles que l’Arabie a hérité du xixe
siècle : cantonnement de la côte en unités distinctes, séparées par des
frontières, appareil simplifié d’organismes administratifs et
gouvernementaux, qui font d’elles des États, ces États que précisément
l’Angleterre a confirmés, à condition qu’ils acceptent sa protection. Le
contrôle politique du Golfe, longtemps exercé par le gouvernement
anglo-indien, a son centre à Bahrain ; un timide début de
« démocratisation » et de scolarisation sur le mode occidental s’y
manifeste avec l’accord des shaykhs Hamad, puis Salmân, cependant que
dans les émirats côtiers, le quartier général anglais, transféré en 1954
à Sharja, va jusqu’à l’organisation d’une milice, les Trucial Oman
Levies (puis Scouts) entraînée par des officiers anglais. Un Conseil des
États de la Trêve se réunit depuis 1952, sans pouvoir de décision,
naturellement. Enfin, en 1965, est créé un Fonds de développement de la
Trucial Coast. L’idée d’une fédération, sous contrôle anglais, est dans
l’air.
90On aurait pu
croire que les liens très souples, mais tout de même exclusifs, créés
par les traités, allaient évoluer vers l’organisation de rapports
durables et institutionnalisés.
91Il n’en fut
rien : le gouvernement anglais, préoccupé de la situation intérieure du
Royaume, de la décadence qui semblait atteindre son économie, dressa un
bilan d’où il ressortait qu’il n’était plus possible de maintenir « all
over the world » la présence britannique. Il fallait donc renoncer à
l’impérialisme séculaire. L’expédition de Suez en 1956 avait montré,
s’il en était besoin, l’impuissance d’une expédition militaire à
redresser une situation compromise, même dans une zone stratégique aussi
importante que le Canal. En conséquence, en 1968, le gouvernement
anglais avertit de son intention de retirer ses forces au-delà du canal
de Suez, ce qui fut fait pendant les quelques années qui suivirent, à
quelques exceptions près : des troupes anglaises sont encore stationnées
à l’intérieur de l’Oman et des conseillers ont été maintenus auprès de
plusieurs ministres omanais.
92Pour ce qui
concerne le Golfe, la conséquence est l’accélération de l’évolution vers
l’indépendance formelle, que les nouvelles ressources pétrolières
rendent inévitable : répartie entre des unités politiques différentes,
indépendantes et indépendantes les unes des autres, l’exploitation des
gisements est ainsi mieux protégée que par un « bouclier » britannique
au demeurant désuet et désormais inefficace. Et donc, c’est dans une
conjoncture nouvelle, une confirmation de la fameuse grille à travers
laquelle s’était établi le protectorat anglais sur le Golfe. A Kuwait,
il suffit d’un échange de lettres, en juin 1961, pour rendre caducs les
traités. C’était peut-être un peu tôt et trop rapide, car l’Iraq du
général Qâsim, reprenant une vieille revendication annexioniste et
soutenu en cela par l’URSS, fit échouer la candidature de l’émirat à
l’O.N.U. jusqu’à ce que, les temps ayant changé, et surtout la politique
iraqienne s’étant éloignée de l’URSS, Kuwait fut finalement admise en
1963. A Bahrain, la déclaration d’indépendance intervient le 25 août
1971. Les troupes anglaises quittent l’archipel la même année, et la
Constitution est promulguée en décembre 1973. L’émancipation de Qatar
est à peu près contemporaine : l’indépendance y est proclamée en
septembre 1971. Les choses sont par nature un peu plus compliquées dans
ce que l’on appellera, dans un sens restrictif, les Émirats. L’accord
n’est pas lent à se faire dès février 1968, entre les deux plus grands
émirats, Abu Dhabi et Dubayy, malgré les susceptibilités réciproques de
l’émir Zâyid ibn Sultân Al Nahyân qui a fait beaucoup pour l’union, et
son homologue de Dubayy, shaykh Râshid ibn Sa‛îd Âl Maktûm. Mais
l’adhésion des autres émirats n’allait pas de soi. Finalement, la
fédération des Émirats Arabes Unis naquit après une réunion tenue à
Dubayy en juillet 1971. Après que Bahrain et Qatar se fussent récusés,
Ra’s al-Khayma se joignit à la fédération un peu plus tard. Les Anglais
avaient déjà annoncé leur renonciation aux traités antérieurs. Une
Constitution provisoire – qui dure encore – avait été promulguée le 18
juillet de la même année : elle prévoyait l’élection d’un président, qui
fut le shaykh Zâyid et d’un vice-président, le shaykh Râshid. Les
obligations réciproques étaient peu contraignantes.
93Restaient les
deux États de l’Arabie méridionale, maintenus en état d’hibernation, si
l’on peut dire, par des souverains conservateurs, jaloux de leur
autorité et prévenus contre les influences étrangères tant politiques
que morales.
94Les choses ne se
sont pas passées aisément à Sanaa. Quelques jours après la mort de
l’imâm Ahmad, victime d’un attentat, comme l’avait été son père l’imâm
Yahyâ, assassiné en 1948, la révolution éclata, le 26 septembre 1962,
provoquant la mort, avait-on cru, en tous cas la fuite du nouvel imâm
al-Badr. C’est le début d’une guerre très dure qui verra en particulier
les Égyptiens de Nasser porter secours aux éléments progressistes. Les
tribus, appuyées par l’Arabie Saoudite, soutiendront les tentatives de
restauration de l’Imâmat jusqu’à ce que Finalement le roi Faysal
d’Arabie Saoudite, accepte que s’installe aux limites de son royaume un
régime républicain, à condition qu’il se classe parmi les modérés.
95Les choses
avaient été compliquées par la perméabilité de la frontière avec la
colonie britannique d’Aden et ses protectorats. Dans les derniers mois
de 1963, des troubles graves éclatent à Aden, puis de nouveau en février
1967, ce qui provoque, de la part du gouvernement anglais, la
réaffirmation de son intention d’évacuer la base d’Aden : la décision
est prise en juin 1968, l’indépendance accordée en novembre de la même
année. Mais au contraire de ce qui se passe dans le Yémen du Nord et à
Sanaa (non sans bien des convulsions) c’est un mouvement
révolutionnaire, le National Liberation Front, qui prend le
pouvoir et refuse tout compromis, optant pour un socialisme à la
chinoise qu’il exporte, quelques années durant, au Dhufâr, province
revendiquée comme sienne par l’Oman.
96De ces
événements, qui ont profondément secoué tout le monde arabe, il reste
une frontière réputée provisoire, celle qui sépare les deux Yémen :
c’est la seule frontière, dans cette partie du monde arabe, qui doive sa
« virulence » à la décolonisation, et qui se double d’une frontière
idéologique, plus solide à l’usage, qu’une limite historique vieille
d’un siècle et demi que la libération d’Aden et de son arrière-pays
aurait pu supprimer.
97L’évolution a été
toute différente en Oman : il a bien failli connaître lui aussi, par
contagion, l’atteinte d’une révolution dans le désert soudain valorisé
par les perspectives d’exploitation pétrolière ; grâce à l’envoi par
l’Iran d’un corps expéditionnaire, la subversion du Dhufâr sera
finalement réduite. La seule révolution qu’ait connu le pays, c’est en
1970, l’avènement du sultan Qâbûs ibn Sa‛îd supplantant son père Sa‛îd
ibn Taymûr. Tout d’un coup, le pays s’ouvre à la coopération avec
l’étranger et à un développement certes planifié, mais tout de même
conforme au modèle libéral, encore que le régime politique reste
fondamentalement autoritaire : le Sultanat est une monarchie absolue, où
le Sultan exerce une autorité sans partage.
***
98Dix années,
1970-1980 qui ont profondément transformé les structures économiques et
politiques de la péninsule : mais le cadre quelque peu artificiel
élaboré au xixe
siècle, sous le masque du monopole anglais, a tenu bon et c’est en s’y
référant que se partagent les profits. L’essentiel en vient aux États
arabes du Golfe et à l’Arabie Saoudite.
99Celle-ci,
notamment sous le règne du roi Faysal, s’est acquis une autorité
considérable dans le monde arabe, au prix d’une certaine atténuation des
rigueurs du wahhâbisme. Le gouvernement de Riyadh surveille de près les
convulsions révolutionnaires au Yémen et la république qui s’établit
dans le Yémen du Nord doit compter avec son puissant voisin. Il en va de
même des émirats, aussi puissants que puisse les rendre la disposition
des ressources pétrolières : à cause de la proximité de l’État
wahhâbite, et malgré la brusque explosion de la consommation, on y
veille à l’observation stricte, au moins en public, des prescriptions
islamiques : ici, point de mélange donc, entre modernité et une certaine
laïcisation de la société. Quant à l’Oman, dans l’unité retrouvée et
sous la forte autorité du Sultan, la modernisation doit aussi s’y
conformer à l’enseignement d’un Islam exigeant.
100Mais
l’indépendance avec le pétrole, et l’identité maintenue pour
l’essentiel, dans la modernisation, ne règlent pas tous les problèmes ni
ne garantissent l’avenir. En se retirant, les Anglais ont laissé un
vide que la situation internationale rend aussitôt inquiétant. Qui le
remplira ? Chacun des États de la péninsule passe commande d’armements.
Mais est-ce suffisant pour empêcher que des convoitises extérieures ne
s’exercent et que la région du Golfe n’entre dans une stratégie
mondiale ? Le premier pays à se présenter comme le gendarme attitré, ce
fut l’Iran des Pahlevi. A vrai dire, ce n’était que la reprise d’une
vieille tradition qui a maintes fois poussé les forces iraniennes à
traverser le Golfe, dit par elles « Persique », le dernier épisode étant
la répression de la révolte du Dhufâr. L’Iran, qui a pourtant
formellement renoncé à ses prétentions sur Bahrain, annexe le 30
novembre 1971 les îlots-clefs de Abû Mûsâ, de la Grande et de la Petite
Tumb, qui permettent de surveiller la sortie du Golfe. Il transforme le
port de Bandar ‛Abbâs en une base maritime de première importance.
101Derrière l’Iran,
il y avait la politique américaine de coopération économique et de
renforcement du potentiel militaire, dans un pays limitrophe de l’URSS
et le verrou, de ce côté, au moins en apparence, était sérieusement
posé. C’est dans l’océan Indien et dans la corne de l’Afrique, si proche
de la péninsule, que se produit la destabilisation. La flotte
américaine surveille les parages, mais la flotte soviétique aussi : on
comprend avec quelle émotion est ressenti l’écroulement du système
d’ingérence américaine en Iran, suivi de près par la percée soviétique
en Afghanistan. Le vide politique, créé par le départ des forces
anglaises, risque d’être comblé, d’une manière qui, tout en garantissant
peut-être de façon formelle l’indépendance des pays de la péninsule
Arabique, constitue pour les intérêts engagés par les compagnies
pétrolières, et d’abord par les Américains, une menace sans doute
mortelle.
102Ainsi la
structure politique, si fragile au début, a bien tenu, elle a survécu à
des changements politiques et économiques rapides et considérables, mais
le flux politique qui n’a cessé d’investir la péninsule n’a pas fini de
se répandre dans une région devenue plus que jamais stratégique,
puisqu’elle détient l’une des clefs de l’économie des pays
industrialisés : une part importante de l’énergie qu’ils utilisent.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
I. – Géographie physique et généralités
Arambourg (C.) et Chatta (M.). Contribution à la géologie de la péninsule Arabique. – Paris, Muséum d’Histoire Naturelle, 1959, 262 p. (Notes et Mémoires sur le Moyen-Orient, t. VII).
Beaumont (P.), Blake (G. H.), Wagstaff (J. M.). The Middle-East. A geographical study. – London, Sydney, John Wiley and Sons, 1976, 572 p.
Berreby (J.-J.). La péninsule Arabique. Terre Sainte de l’Islam, patrie de l’arabisme et empire du pétrole. Préface de Pierre Rondot. – Paris, Payot, 1958, 270 p.
Cressy (G. ?.). Crossroads. Land and life in Southwest Asia. – Chicago, New-York, Philadelphia, J. B. Lippincott, 1960, 593 p.
Brice (W. ?). Southwest Asia. – London, U. of London Press, 1966, 448 p. (A systematic Regional Geography, vol. VIII).
Dubertret (L.), Weulersse (J.). Manuel de géographie : Syrie, Liban et Proche-Orient. 1re partie : La péninsule Arabique. – Beyrouth, Impr. Catholique, 1940, 193 p.
Djalili (M.). Le golfe Persique. Problèmes et perspectives. – Paris, Dalloz, 1978, 252 p.
Sanger (R. H.). The Arabian Peninsula. – Ithaca, New-York, Cornell U. Press, 1954, XIV-295 p.
II. – Population
Alwardi (A.). Soziologie des Nomadentum (traduit de l’arabe). – Newied, H. Luchterhand, 1972, 455 p.
Berque (J.). Les Arabes. Ed. refondue et augmentée. Paris, Sindbad, 1973, 148 p. (La Bibliothèque arabe).
Berque (J.). De l’Euphrate à l’Atlas. – Paris, Sindbad, 1978, 2 vol., 731 p. (La Bibliothèque arabe. Coll. Hommes et sociétés).
Brouk. L’ethnographie des pays du Moyen-Orient. – Paris, La Documentation Française, 1961, 67 p.
Clarke (J. I.) and Fisher (W. ?.). Population of the Middle-East and North Africa. – London, U. of London Press, 1972, 432 p.
Charles (H.). Tribus moutonnières du Moyen-Euphrate. – Beyrouth, 1938.
Cooper (Ch. A.), Sidney (S. A.). Economic development and population growth in the Middle East. – New-York, American Elsevier publication Company, 1972, 620 p.
Forde (E. D.). The North arabian badawin geography. – Sheffield, The Geographical Association, 1933.
Glubb (J. C). The beduins of Northern Arabia. Royal Central Asian Journal XXII, 1935.
Gulick (J.). The Middle-East. An anthropological perspective. – Pacific Palisades Calif., Goodyear, 1976, XVII-244 p.
Helaim (A. S.). Les bédouins et la vie tribale en Arabie Saoudite. – R. Int. des Sciences Sociales, XI, 4, 1959, pp. 554-560.
Irons (W. Dyron), Hudron (N.). Perspectiv es on nomadism. — Leiden, E. J. Brill, 1972, 136 p.
Longrigg (St. L.). The Middle-East. A Social Geography. – London, Geral Duck Worth and C°, 1963, 291 p.
Mansfield (P.). The Arabs. – Penguin books, nouvelle éd., 1978, 572 p.
Miles (S. M.). The Countries and Tribes of the Persian Gulf. – London, Frank Cass (2e ed., 2 vol. in one) 1966, 580 p.
Montagne (R.). La civilisation du désert. Nomades d’Orient et d’Afrique. – Paris, Hachette, 1947, 271 p.
Montagne (R.). Les Semmar du Nejd. Revue des Études Islamiques, 1932.
Thesiger (W.). Arabian sands. – New-York, E. P. Dutton, 1959, XVI-326 p.
Van Nieuwenhuijze (C. A. O.). Social stratification and the Middle-East. An interpretation. – Leiden, Brill, 1965, VIII-84 p.
Wissmann (H. von). Le nomadisme bédouin en Arabie. Encycl. de l’Islam, 2e éd., article : Badw, t. I, pp. 903-913.
III. – Histoire
Coon (Carton S.). Caravan. The story of the Middle-East. – New-York, Holt, Rinehart and Winston, 1961 (nouvelle éd.), 386 p.
Izzard (M.). The Gulf arabia’s western approaches. – London, J. Murray, 1979, XIII-314 p.
Troeller (G.). The birth of Saudi Arabia. Britain and the rise of the House of Saud. – London, F. Cass, 1976, XI-287 p.
IV. – Économie et société
Abd el Malek (A.). La pensée politique arabe contemporaine. – Paris, Le Seuil, 1970, 383 p.
Becker (A. S.), Hansen (?.), Kerr (M. H.). The economics and politics of the Middle-East. – New-York, American Elsevies publications, 1975, IX-131 p.
Djait (H.). La personnalité et le devenir arabo-islamiques. – Paris, Le Seuil, 1974, 300 p. (Coll. Esprit. La condition humaine).
Flory (M.) et Mantran (R.). Les régimes politiques des pays arabes. – Paris, P.U.F. 1968, 471 p. (Themis).
Hopwood (D.) ed., The Arabian Peninsula. Society and politics. – London, G. Allen and Unwin, 1972, 320 p.
Kalisky (R.). Le monde arabe à l’heure actuelle. – Verviers, Gérard, 1974, 389 p.
Mahmoud (Hussein) (pseud. de Bahgat el Nadi et Rifaat Adel). Les Arabes au présent. – Paris, Le Seuil, 1974, 187 p. (L’histoire immédiate).
Mansfield (P.). The Middle-East. A political and economic Survey. – London, Oxford, Univ. Press, 4e éd., 1973, XI-591 p.
Masmoudi (M.). Les Arabes dans la tempête. – Paris, J. C. Simoen, 1977, 302 p.
Office arabe de presse et de documentation. Étude sur la révolution arabe contemporaine. – Damas, 1971, 150 p., multigr.
V. – Études par pays
Arabie Saoudite :
Lipsky (G. A.) et autres. Saudi Arabia. Its People, its Society, its Culture. – New-Haven, H.R.A.F. Press, 1959, 367 p.
Tomiche (F. J.). LArabie Saoudite. – Paris, P.U.F., 1962, 128 p. (« Que sais-je ? »)
États du Golfe
Hawley (D.). The Trucial States. – London, G. Allen and Unwin ; New York, Humanities Press ; 1971, 268 p.
Sadek (M.), Snavely (W.). Bahrein, Qatar and the United Arab Emirates. Colonial past, present problems and futur prospect. – Lexington (Mass.), 1972, 224 p.
Tur (J. J.). Les émirats du golfe Persique. – Paris, P.U.F. 1976, 128 p. (Que sais-je ?).
Oman :
Skeet (J.). Muscat and Oman. The end of an era. – London, Hodder and Stoughton, J. Faber and Faber, 1975, 224 p.
Yemen :
Rondot (Ph.). Influences tribales et forces progressistes au Yémen du Nord. Afrique et Asie moderne, 4e trim. 1977, p. 3-14.
Notes
1
On aura certainement recours à des travaux qui pour être anciens n’ont
pas perdu de leur « actualité », pour la connaissance du genre de vie
et de la civilisation du monde bédouin : notamment Glubb (J. C), The bedouins of Northern Arabia, dans Royal Central Asian Journal, XXII, 1935, et surtout Montagne (R.), La civilisation du désert. Nomades d’Orient et d’Afrique. Paris, Hachette, 1947. Du même, une monographie : Les Semmar du Nejd, dans Revue des Études islamiques, 1932. Voir aussi un ouvrage récent, traduit de l’arabe, Al Wardi (A.), Soziologie des Nomadentum. trad. Weirech G. und El Haidari, I. H. Luchlerhand Newied ; Helaïm (A. S.), Les bédouins et la vie tribale en Arabie Saoudite, dans la Revue Internationale des Sciences Sociales, XI, 4, 1959, pp. 554-560. On aura aussi recours à l’article Badw écrit par Wissmann (H. von) dans l’Encyclopédie de l’Islam, 2e éd., Leiden, t. 1, 1960, pp. 903-913. – Sur l’évolution actuelle, enfin, voir : Bonnenfant (Paul), L’évolution de la vie bédouine en Arabie centrale, Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n° 23, 1977, pp. 111-178.
2 L’habitude euphorisante de « brouter » et de mastiquer l’extrémité des tiges de qât reste
très générale. Les rameaux, serrés en petites bottes, peuvent être
achetés sur tous les marchés, en ville comme à la campagne.
Table des illustrations
Légende | CARTE N° 1 – La péninsule Arabique |
---|---|
URL | http://books.openedition.org/iremam/docannexe/image/2518/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 427k |
Légende | PHOTO 1. – Types de paysages : les hautes terres yéménites.La région du village d’al-Hutayb, près de Manâkha dans le Jabal Harâz, porte des cultures en terrasses, notamment de l’arbuste qât au premier plan, autour d’un habitat groupé et fortifié sur des éminences (Photo et légende : Paul Bonnenfant). |
URL | http://books.openedition.org/iremam/docannexe/image/2518/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 2,6M |
Légende | PHOTO 2 et 3. – Types de paysages : les hautes terres saoudiennes du sud-ouest ou sarât.Le socle cristallin tombe brusquement sur la plaine côtière aride de la Tihâma (photo du bas, au fond). Les hauteurs (2 000 m et plus) mieux arrosées portent des forêts de genévriers de Phénicie et d’acacias, ainsi que des cultures en terrasses. Les routes nouvelles structurent le paysage : en haut, la route Taif-Abhâ joint les points les plus hauts de la sarât, tandis que des routes impressionnantes escaladent le rebord du socle depuis la Tihâma, comme la ‛aqabat as-Sammâ’ ci-dessous, au nord d’Abhâ (Photos et légende : Paul Bonnenfant). |
URL | http://books.openedition.org/iremam/docannexe/image/2518/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,2M |
URL | http://books.openedition.org/iremam/docannexe/image/2518/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,5M |
Légende | PHOTOS 4 et 5. – Types de paysages : les reliefs en cuesta d’Arabie centrale.Les plateaux calcaires tombent à la verticale sur les niveaux inférieurs. Au Jabal Tuwayq, le plus célèbre et le plus beau de ces reliefs, les falaises ont parfois plusieurs centaines de mètres de hauteur. Des massifs dunaires y pénètrent souvent (ci-dessus, à Hafîrat Nisâh). Ça et là, de petites oasis s’alimentent à la nappe phréatique et sont souvent remplacées par de grandes exploitations agricoles sur forages profonds. Ci-dessous, un des Qusûr Âl Muqbil (photos et légende : Paul Bonnenfant). |
URL | http://books.openedition.org/iremam/docannexe/image/2518/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,3M |
URL | http://books.openedition.org/iremam/docannexe/image/2518/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,6M |
Légende | PHOTOS 6 et 7. – Types de paysages : les oasis de piémont.Les eaux de ruissellement sur les montagnes d’Oman, du Hijâz ou du sud-ouest donnent naissance à des wâdîs, le plus souvent à sec, mais dont l’infero-flux permet l’irrigation de belles palmeraies. Ci-dessus, le wâdî Najrân au sud-ouest de l’Arabie Saoudite aux vastes demeures dispersées dans l’oasis ; un important barrage, tout neuf, permettra d’écrêter les crues et de régulariser l’approvisionnement en eau. Ci-dessous, al-Mudayrib, en Oman, entre la chaîne montagneuse du Hajar oriental et les dunes des Wahîba ; au fond, al-Qâbil des Hârthî, la célèbre tribu de savants et guerriers ibâdites (Photos et légende : Paul Bonnenfant). |
URL | http://books.openedition.org/iremam/docannexe/image/2518/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 769k |
URL | http://books.openedition.org/iremam/docannexe/image/2518/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,4M |
Légende | PHOTOS 8 et 9. – Types de paysages : la région pétrolière.Des ondulations très douces tissées d’oléoducs et de lignes à haute tension, des installations pétrolières avec leurs torchères et leurs panaches de fumée noire, un désert parcouru par quelques bédouins, de plus en plus rares : c’est la région pétrolière dont la côte perdue entre ciel et mer se noie très doucement dans les eaux du Golfe (Photos et légende : Paul Bonnenfant). |
URL | http://books.openedition.org/iremam/docannexe/image/2518/img-9.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,6M |
URL | http://books.openedition.org/iremam/docannexe/image/2518/img-10.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,7M |
Légende | PHOTOS 10 et 11. – Types de paysages : les oasis du Najd.Ici, l’oasis d’az-Zilfi s’étend dans la plaine entre deux paysages caractéristiques du Najd : un relief de cuesta (rebord de plateau calcaire) et les dunes du Nafûd ath-Thuwayrât. La nouvelle route Riyadh-Burayda par le Sudayr, ici en construction (1974), passe entre le village nord (en haut) et le village sud (en bas). Elle les a rassemblés aujourd’hui en une seule ville, attirant à elle administrations nouvelles, commerces et spéculation foncière (Photos et légende : Paul Bonnenfant). |
URL | http://books.openedition.org/iremam/docannexe/image/2518/img-11.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,2M |
URL | http://books.openedition.org/iremam/docannexe/image/2518/img-12.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,1M |
© Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, 1982
Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540
Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire