mardi 17 janvier 2017

vie réelle (dont la loi et l’éthique), sont sous l’autorité de la charia ; et tous les sujets purement métaphysiques ou théologiques sont sous l’autorité de la raison. La distinction faite va permettre de distinguer la théologie, qui sera dorénavant appelée « principes de la religion » (usul al-din), et les principes moraux et légaux, désormais connus sous le nom de charia12.
C’est à cette époque formative de l’islam qu’apparaissent des divisions sur le sens à donner à la loi islamique. Les courants sunnites majoritaires, qui se sont transformés en écoles juridiques (madhhab) qui déclinent chacune leur propre fiqh, sont le malékisme, le hanafisme, le chaféisme et le hanbalisme. Chez les chiites, ces courants sont le jafarisme et le zaïdisme13. Il existe aussi d’autres courants religieux minoritaires qui ont chacun leur interprétation de la place et de la nature de la charia au sein de la religion musulmane, sans que les différences soient fondamentales dans le contenu de la loi divine.
Chez les sunnites, l’ijma (consensus) qui a été déclaré final au Xe siècle aurait comme motivation, selon Rahman, la volonté d’assurer la permanence et la stabilité de l’islam alors qu’il était en formation et que la religion à cette époque était en proie à des conflits internes et des attaques extérieures12.
À partir du Xe siècle, il existe quatre courants majeurs caractérisant la vie religieuse de l’islam : le rationalisme, le soufisme, le courant théologique et le courant légal. Ces différents courants ne pouvaient être synthétisés et intégrés que par un concept religieux comme la charia. Les différents courants religieux cités plus haut qui existaient à cette époque n’étaient pas les seuls courants existant en islam, puisque les traditionalistes (ahl al-hadith) faisaient aussi partie de ces courants. Le cheik Ibn Taymiyyah écrira au XIIe siècle une rissala sur la compatibilité entre raison et révélation, qui est l'approche de l'ensemble des savants musulmans de son temps, et qui se fonde sur le principe de raisonnement sur les versets maintes fois commentés dans le Coran[réf. nécessaire]. Jusqu’au XIIIe siècle, ils n’avaient pas participé aux différents courants décrits, mais étaient restés en observation12.
C’est Ibn Taymiyyah (1263-1328/661-728) qui proposera la vision des traditionalistes (il est associé au madhhab hanbalite). Sa position cherche à reformuler le concept de charia et à exhorter les valeurs religieuses. Il soutient donc la position que la charia est un concept complet qui inclut la vérité spirituelle des soufis (haqiqa), la vérité rationnelle (aql) des philosophes et des théologiens, et la loi. La charia devient donc, pour les traditionalistes, ce qui rend la loi possible et juste, et qui intègre les aspects spirituels et légaux dans un seul tout religieux12. L’influence de Ibn Taymiya est restée restreinte à ses seuls disciples et n’a pas fait émerger de mouvement massif. Sa manifestation la plus visible sera le mouvement wahhabite apparu au XVIIIe siècle en Arabie saoudite12.

Rationalité et éthique

Éric Chaumont, concernant la charia, la rationalité et l'éthique, explique qu'il existe deux principes sous-jacent aux principes de la charia - et pourtant métasharaïques14 - qui sont depuis toujours en compétition dans un débat théologique qui oppose les savants musulmans :
La première théorie est fondée sur l'approche rationaliste adoptée par Ghazali, qui soutient que la charia a été instituée par Dieu dans l'intérêt de la création, porteuse d'avantages pour l'homme, avantages que la raison de ce dernier peut - pour certains - appréhender, tandis que d'autres sont inintelligibles et doivent faire l'objet d'une révélation divine. Les intérêts de l'homme (maslaha) sont alors le fondement éthique à la base de la charia. « Il y a ici une adéquation assez étroite entre raison humaine et Loi révélée, et celle-ci s'apparente en dernière analyse à une sorte d'éthique utilistariste (ou le terme éthique doit s'entendre pour la vie présente et la vie de l'au-delà.) » Une forme radicalisée de cette théorie, plus tardive, comptant entre autres Abu Ishaq al-Shatibi comme adhérant et pionnier, soutient le principe de finalités de la charia (al maqâsid al-charia), qui veut que chaque prescription de la charia a bien une finalité précise et objective. Selon cette autre théorie, d'un point de vue éthique et rationnel, rien n'est gratuit. Cette théorie ayant une approche rationnelle et intelligible de la charia est fort prisée par les juristes modernes.
La seconde théorie pose la charia comme volonté (al-irâda) divine, normative sans qu'elle soit soumise à des valeurs préexistantes ; cette théorie dénie ainsi radicalement la rationalité des prescriptions charaïques. Ceci est une influence de l'ash'arisme qui décrètera que la raison est incapable de déterminer le bien et le mal. L'influence de cette école, majoritaire dans l'islam sunnite, n'a pratiquement plus de partisans dans sa radicalité initiale. Cette dernière explique en grande partie la lenteur de l'évolution de la charia en fonction des changements contextuels ; mais les savants musulmans - pressés par les critiques dont la charia fait l'objet - cherchent désormais des fondements éthico-rationnels derrière les prescriptions charaïques 15.
Suivant le juriste Yadh ben Achour16, il est inexact de penser que la charia est inerte et immuable. Ce dernier explique qu'elle évolue en fonction des changements de conjonctures diplomatiques et sociologiques, et n'est pas à envisager comme un système contraint à la stagnation, citant de nombreux exemples d'adaptations de la charia17. C’est ainsi avec le début de la modernisation de l’islam, au XIXe siècle, que la charia commence à être désinstitutionnalisée et sécularisée, et que commence à être repensé le rôle des oulémas et des cadis dans le processus de construction de sociétés modernes1.

Sociétés musulmanes modernes

Depuis le XIXe siècle, la plupart des États à majorité musulmane ont créé des systèmes judiciaires séculaires et centralisés, en empruntant plus ou moins largement aux sources européennes existantes18. Dans quelques cas, l’adoption de nouvelles formes de tribunaux et de codes de lois a provoqué l’opposition des religieux, comme cela a été le cas en Iran après sa révolution constitutionnelle et au Yémen après l’introduction de réformes ottomanes appelées Majalla en 1891 et 1904. Ces nouveaux systèmes judiciaires sur le modèle européen, avec des tribunaux hiérarchisés et centralisés, n’ont rencontré que peu d’oppositions.
Nathan Brown souligne que le manque d’éléments sur l’application de la charia avant les réformes des systèmes judiciaires ne permet pas de savoir à quel point elle était appliquée dans ces pays auparavant18. Il note qu’à cette époque charnière, la charia devenait plus importante dans l’Empire ottoman, et que l’influence du mouvement wahhabite dans la péninsule d’Arabie a probablement causé un regain d’importance des pratiques liées à la charia.
En Égypte, le système judiciaire reste basé sur les principes islamiques, puisqu’il reprend en grande partie le qānun ottoman (code de loi qui avait pour but de codifier la charia). Au cours du XIXe siècle, l’exécution des peines hudud se fait moins fréquente, mais les législateurs ne rejettent pas la base qu’est la loi islamique18. Des tribunaux appliquant les principes de la charia existaient d’ailleurs toujours aux côtés des nouveaux. Ce qui sera le cas non seulement en Égypte, mais dans la quasi-totalité du monde musulman.
L’évolution de la place de la charia dans les sociétés musulmanes modernes a mené à une redéfinition des relations entre la charia et l’État au cours du XIXe siècle et du XXe siècle dans les États à majorité musulmane. Cette renégociation ne met pas en danger les institutions de la charia mais vise plutôt à contenir son champ d’action, comme le montre la création de tribunaux d’État aux côtés des tribunaux islamiques, chargés des affaires personnelles.

Époque contemporaine

Bien que les institutions et les pratiques liées à la charia aient survécu à l’introduction de systèmes légaux d’origine européenne dans les pays à majorité musulmane, elles y ont tout de même connu un fort déclin. À la suite des modifications des systèmes légaux sont venues celles des institutions et des pratiques associées à la charia, dont le sens s’est restreint pour devenir plus politique18. C’est vers la fin du XIXe siècle qu’a commencé à être réformé le système éducatif en vigueur dans les pays musulmans. Les institutions dédiées au savoir islamique ont été transformées en universités avec des cours et des examens. Cette réforme a été beaucoup plus discutée que l’introduction des systèmes légaux « à l’occidentale », et également beaucoup plus lente, puisque les universités et les salles de classe n’ont remplacé les cours de mosquées et de médersas qu’au milieu du XXe siècle.
Dans le même temps, une réforme des tribunaux islamiques a été menée dans les États musulmans, qui avaient besoin d’exercer un contrôle plus grand sur le pouvoir judiciaire. Cette réforme a été menée en prenant plusieurs types de mesures : la bureaucratisation, la codification et la fusion18. La bureaucratisation a été menée à bien par l’intégration des tribunaux musulmans dans le système fiscal de l’État, la mise en place de bureaux administratifs, de procédures d’appel claires et d’une hiérarchie des tribunaux. La codification a pris la forme de codes des droits de la personne, largement fondés sur la norme existant dans la charia. La fusion des tribunaux islamiques et des tribunaux civils a été assez rare. Tous les gouvernements coloniaux ont préféré bureaucratiser plutôt qu’abolir les tribunaux islamiques, comme l’a fait la France en Algérie19.
Le résultat de ces réformes a été la réduction du sens du mot charia à la loi. Le degré de prévalence de la charia s’évalue par le degré de conformité de la loi en place à la charia18. En effet, les partisans de la charia lui donnent un sens strictement légal alors que les partisans de plus de sécularité au sein du monde musulman préfèrent donner un sens plus large au concept de charia20.
Au cours des années 1930 apparaissent les premières critiques des systèmes légaux et judiciaires sur le modèle européen : certains penseurs égyptiens ont dit que la loi française était culturellement inappropriée à l’Égypte et que des efforts plus grands devaient être faits pour intégrer des normes basées sur la charia. La critique, au départ modérée, est reprise par un idéologue des Frères musulmans, 'Abd al-Qadir 'Awda, qui déclare que les musulmans doivent non seulement ignorer mais combattre les lois contraires à la charia.
Dans les années 1960 et 1970, les appels à l’application de la charia deviennent le centre des revendications de mouvements islamistes de toutes origines. La charia, qui n’est plus considérée comme un ensemble de pratiques et d’institutions mais comme un ensemble de lois codifiées, est même devenue l’indicateur par lequel on peut juger du caractère islamique d’une société ou d’un système politique18.
Aujourd’hui, une doctrine quasi-constitutionnelle vis-à-vis de la charia a émergé, à la fois parmi les juristes et parmi les islamistes18. En effet, les juristes ont commencé à avoir une approche plus positive de la charia à partir des années 1930, en faisant remarquer que les codes de lois des pays musulmans devaient se fonder sur des sources indigènes plutôt que sur des sources de lois européennes21. De leur côté, les islamistes, confortés par le changement de sens du terme charia et sa plus grande codification, ont insisté sur le fait que la charia devait avoir une forme codifiée, et ils positionnent celle-ci comme étant supérieure à tous les autres codes de lois (constitution, législation normale et règlements administratifs)22. L’exemple d’une constitution basée sur la charia est d’ailleurs celui de l’Iran depuis la révolution de 1979.
La nouvelle signification de la charia en tant que code de lois est donc devenue beaucoup plus difficile à circonscrire, et les gouvernements de nombreux pays musulmans (comme l’Égypte) se sont engagés à vérifier leur codes légaux afin de s’assurer qu’ils sont en conformité avec la charia18. La redéfinition de la charia a permis de donner un pouvoir politique plus grand à celle-ci, mais, en revanche, le pouvoir de la loi islamique est en même temps restreint à des sujets plus spécifiques. Nathan Brown dit que si la charia était mise en place complètement dans certaines sociétés, cela nécessiterait des changements très importants dans la loi commerciale et les codes pénaux. À l’heure actuelle, la mise en place de la charia n’est pas complète, mais elle est fortement présente dans la vie politique des pays musulmans18.

Structure

La loi est structurée en deux parties :
  • Al 'Ibadat qui concerne le culte et contient les règles relatives à
    • l'attestation de l'unicité d'Allah (Dieu)
    • la prière (Salat)
    • l’aumône et la charité (zakat)
    • le jeûne (ṣawm et Ramadan)
    • le pèlerinage à la Mecque (hajj) si c'est possible.
Ce sont là les cinq piliers de l'Islam.
La charia classe les actions humaines en cinq catégories23. Ces catégories correspondent à cinq valeurs morales appelées al-akhām al-khamsa :
  1. ce qui est prescrit, désigné sous le terme de fard (aussi dénommé obligatoire — wajib, muhattam— ou requis — lazim)
  2. ce qui est recommandé, désigné sous le terme de mandub (aussi dénommé préférable — mustahabb — méritoire — fadila— ou désirable — marghub fih)
  3. ce qui est indifférent (mubâh),
  4. ce qui est blâmable désigné par le terme makrûh
  5. ce qui est interdit désigné par le terme haram
Les actions prescrites se divisent elles-mêmes en obligations personnelles —fard al-'ayn— qui sont requises de la part de chaque musulman (prière et aumône par exemple), et les obligations communautaires —fard al-kifaya — qui, si elles sont faites par certains musulmans, ne sont pas requises des autres (les prières funéraires par exemple).
La distinction qui est faite entre les cinq catégories se fait sur leur exécution ou leur non exécution, qui est soit récompensée ou non récompensée, punie ou non punie. Le tableau ci-dessous détaille les différentes catégories et leur statut par rapport à la charia23.
Prescrit Recommandé Indifférent Blâmable Interdit
Exécution récompensée récompensée non récompensée non punie punie
Non exécution punie non punie non punie récompensée récompensée
La charia, règle révélée, permet de produire deux formulations : la connaissance de la loi (al hukm) et la fatwa.

Hukm

Le Hukm (arabe : حُكْمُ pl. Ahkam) est une règle ou une ordonnance qui découle de la charia. Le terme désigne aussi un jugement rendu par un cadi (qâdi), qui est l’autorité vers laquelle les musulmans se tournent pour qu’un jugement conforme à la charia soit rendu. Ebrahim Moosa rappelle que hukm vient de la racine arabe hkm, qui signifie « retenir », « avertir » et que le terme hukm s’applique aussi aux découvertes d’un théoricien légal islamique quand il cherche à définir quelle est la valeur morale d’un acte parmi les cinq valeurs morales (al-akhām al-khamsa) existant dans la charia 24.
Le Hukm est caractérisé comme un jugement légal venant en complément des conditions mises en place par un madhhab et la doctrine associée25.
Quand un juriste produit une règle pour un acte ou une situation particulière, le terme hukm est utilisé, plus particulièrement sous la forme de hukm Allāh (« règle de Dieu »). Le terme hukm est en fait employé pour décrire deux dimensions : le jugement métaphysique et le jugement empirique. Le hukm est une norme transcendantale dont le hukm empirique, donné par le juriste, est la manifestation temporelle. Moosa souligne également que le procédé de découverte de la charia et de la loi islamique est la conséquence d’une interaction complexe entre l’homme et le divin 24.

Fatwa

Article détaillé : Fatwa.
La fatwa est un avis juridique donné par un spécialiste de loi religieuse sur une question particulière. En règle générale, une fatwa est émise à la demande d’un individu ou d’un juge pour régler un problème où la jurisprudence islamique n’est pas claire. Un spécialiste pouvant donner des fatwas est appelé un mufti. Différents muftis peuvent émettre des fatwas contradictoires. La fatwa est limitée à une période et un espace géographique, ou plutôt, un espace reconnaissant l’une des écoles d’interprétation. Ensuite, la fatwa pourra être confirmée, révisée, annulée, voire totalement ignorée par d’autres écoles d’interprétation.
Les fatwas étant produites par des muftis, celles-ci sont subjectives et dépendent de l'identité de la personne qui les émet. Elles peuvent parfois, en conséquence, être violentes, ce qui est notamment le cas de la fatwa rédigée à l'encontre de l'écrivain Indien Salman Rushdie qui, après la publication de son ouvrage Les Versets sataniques en 1988, a été littéralement menacé de mort par l'Ayatollah Khomeini. Les fatwas peuvent donc dans certains cas représenter une atteinte à la liberté d'expression et aux Droits de l'Homme.

Catégories d’infractions et diversité des peines

Article détaillé : Droit pénal musulman.
La charia distingue plusieurs catégories d’infractions et de peines associées :
  • Hadd (pl. Hudud) qui sont des « peines fixes ».
  • Tazir, pour des infractions moins graves.
  • Qissas, la Diya, qui est le « prix du sang » ou la « loi du talion ».

« Application de la Charia » 

La charia dans le monde
  •      Pays membre de l'Organisation de la coopération islamique où la charia ne joue pas un rôle dans le système judiciaire.
  •      Pays où la charia s'applique aux questions de statut personnel (mariage, divorce, héritage et autorité parentale).
  •      Pays où la charia s'applique intégralement, aussi bien aux questions de statut personnel qu'aux procédures pénales.
  •      Pays avec des variations régionales dans l'application de la charia.
Dans le sens le plus récent, parler d'« application de la charia » revient soit à utiliser un slogan dénonçant l'illégitimité d'un régime politique26, soit, par une transformation du sens, à « renvoyer les législateurs contemporains à cette Loi islamique pour qu'elle inspire leurs travaux »27, soit encore à instaurer « un régime politique qui se réfère au « commandement suprême de Dieu » » en réduisant la Charia à sa seule dimension pénale28.

Territorialité de la Loi islamique

Pour la majorité des juristes, la charia ne peut être appliquée que dans les pays d’islam (Dar al-Islam)29. De plus, le droit pénal qui en découle est applicable à tous les auteurs d'infraction quelle que soit leur religion. Seule l’école hanafite restreint son application aux musulmans et aux gens du Livre, ou aux dhimmis, mais pas aux étrangers de passage. Ces derniers ne peuvent être condamnés pour certaines infractions contre les particuliers ou contre le droit divin 30
Les pays dont la législation s’inspire plus ou moins fortement de la charia sont les suivants : l’Arabie saoudite, le Koweït, le Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Qatar, Oman, le Yémen, l’Iran, le Pakistan, l’Afghanistan, la Libye, la Malaisie, Brunei et l'Indonésie. De plus, la charia a été introduite dans la législation de certains pays au cours du XXe siècle : le Soudan, l'Égypte (en tant que « source du droit »), et quelques États du nord du Nigeria, et la Somalie. Le mariage civil n'existant pas en Israël, les musulmans de ce pays sont soumis au Droit musulman en ce qui concerne le statut personnel.

Procédure

Article détaillé : droit musulman.
Certains types d’infractions mettant en cause les intérêts des particuliers ne peuvent être poursuivis que sur plainte de la victime ou de ses héritiers (fausse imputation, talion, vol). En revanche, pour les infractions à la loi divine (les houdoud sauf le vol, la fausse imputation, l’apostasie et l’hérésie), la seule présentation spontanée de témoins ou l’aveu de l’auteur peuvent donner lieu à la mainmise du juge. Comme cette action ne donnait pas lieu à une réparation en faveur de la victime, elle a été qualifiée d’« action désintéressée » (ﺩﻋـﻮى ﺍﻟﺤـﺴـبة hisba).
En droit musulman, le procès se déroule en public, et le juge est assis en face de l’entrée, de manière visible pour les deux parties. Le juge a également la possibilité de revenir sur sa décision et de la réviser, soit spontanément, soit à la demande d’une des deux parties.

Preuves

La preuve par témoins joue un rôle prépondérant dans la charia. En effet, l’introduction de la loi islamique a eu lieu à une époque et dans une région où l’écriture était peu répandue, et dans une culture s’appuyant sur une forte tradition orale 30. Dans ce contexte, le texte coranique ou les hadiths fixent souvent le nombre de témoins requis ou les autres moyens de preuve. Les relations hors mariage doivent par exemple être prouvées par le témoignage de quatre hommes, le meurtre, le vol ou les lésions corporelles par l’aveu ou le témoignage de deux hommes. Les infractions relevant de la catégorie des Taʿzīr peuvent être prouvées par tout moyen entraînant la conviction du juge, sous réserve de sa validité30.
Jacques El Hakim précise que la présomption d’innocence joue en faveur de l’inculpé, et que c’est donc au demandeur qu’incombe la charge de la preuve. La charia insiste sur la nécessité que la preuve soit irréfutable, ce qui réduisait les possibilités de poursuite. L’inculpé a par la suite la possibilité de présenter la preuve contraire ou de prêter serment sur son innocence.
Le Coran élabore un système de contre-témoignage31,32. De même, lorsque deux personnes fiables témoignent contre un témoin devant le juge lors d'un jugement, la condamnation ne peut avoir lieu,33 Ceux-ci peuvent témoigner contre un ou plusieurs autre(s) témoin(s) affirmant une chose erronée ou mensongère devant le juge lors d'un jugement. Ce contre-témoignage peut donc concerner la fiabilité des témoins eux-mêmes autant que la crédibilité du crime. Étant donné qu'il faut le nombre minimal qui est de deux ou quatre témoins en fonction du crime commis pour l'application de la peine, si le nombre après contre-témoignage n'est plus atteint la condamnation n'a plus lieu34.

Repentir, grâce et prescription

Le repentir de l’auteur ne permet d’éviter l’application d’aucune des peines prévues pour les différentes catégories d’infraction. Les particuliers visés par une atteinte à leurs droits (notamment en matière de talion) peuvent se désister. L’amnistie n’est pas prévue par la charia. La grâce est en principe exclue pour les houdoud, sauf pour le vol et la fausse imputation qui mettent en cause les droits des particuliers (seuls les particuliers peuvent déclencher une poursuite). Pour les autres catégories d’infraction, la grâce est à la discrétion du juge.
Les Chaféites, les Hanbalites et les Malékites (soit la majorité des courants musulmans) déclarent imprescriptibles les infractions et peines relevant des houdoud ou du qissas (talion). Ils déclarent également que la consommation de vin (ou plus généralement de boissons alcoolisées) ne peut être poursuivie si elle n’est pas dénoncée par l’odeur30.

Application sur les non-musulmans

Enseignement

L’enseignement de la charia est généralement fait à travers les enseignements religieux donnés dans les médersas. Toutefois, la plupart des pays islamiques incluent l’enseignement de la charia dans les enseignements religieux dispensés dans les écoles publiques.
Pour Thimothy Mitchell la charia est plus une série de commentaires sur des pratiques, et de commentaires sur ces commentaires ; l’enseignement de la charia était intégré dans un enseignement plus large, mettant en œuvre des techniques et des moyens spécifiques au savoir islamique. Il décrit le processus d’apprentissage comme suit : l’étudiant commence par étudier le Coran, puis les Hadith, puis les commentaires majeurs du Coran et des hadith. Il entame ensuite l’étude des sujets liés aux hadiths, comme les biographies des rapporteurs. Ensuite seulement étaient étudiés les principes de la théologie (usūl al-din), puis les principes de l’interprétation légale (usūl al-fiqh), et ensuite les différences d’interprétation entre les différentes écoles (madhhab)35. Le contenu et l’organisation de l’enseignement de la charia sont inséparables de la relation entre les textes et les commentaires constituant la charia. Mitchell et d’autres universitaires considèrent que le contenu même de la charia et son enseignement ne peuvent pas être dissociés18.

Problèmes soulevés

Jacques el-Hakim souligne que les peines corporelles en vigueur dans la loi islamique ne correspondent plus depuis longtemps aux critères d’amendement du délinquant qui fondent les politiques pénales en vigueur aujourd’hui. Cela explique que certaines peines soient tombées en désuétude dans certains pays depuis plusieurs siècles déjà 30.
Un principe de la charia reconnaît l’adaptation des lois selon les époques (celle-ci est reconnue en outre dans l'art. 39 de la Majalla, le Code civil ottoman, construit à partir d'une codification des règles hanafites à la fin du XIXe siècle). Ce principe a été largement suivi, comme le montre l’exemple du Calife Omar qui a écarté l’amputation de la main des voleurs en période de disette et en matière de talion (la victime ou les héritiers n’exécutent plus la peine de leur main). Jacques el-Hakim pense également que la majorité des peines corporelles n’était plus compatible avec les mœurs ou justifiée par la répression à partir des réformes du XIXe siècle. Les peines corporelles ne sont plus pratiquées que dans de rares pays36; et dans d’autres pays où elles sont réintroduites, elles rencontrent une forte opposition37.
Pour certains penseurs, comme Asaf Fyzee, la Charia, qui est la doctrine spirituelle du Coran, « doit être révisée et interprétée à la lumière de la philosophie et de la logique modernes ». La charia, qui est la loi sacrée de l'islam, doit être séparée de ses préceptes juridiques et politiques, afin de ne pas confondre les valeurs morales et les valeurs juridiques de la religion38.

Caducité

Certaines personnes considèrent que certaines dispositions de la charia sont caduques du fait de l’évolution de la société ; il deviendrait donc inutile de les préserver. Tel est le cas des questions concernant l’esclavage39. Dans la République islamique de Mauritanie, il y a un consensus de la part des oulémas sur l’abolition de l’esclavage conformément aux principes de la charia40.
Selon Leila Babès, des pratiques culturelles, c’est-à-dire contingentes, ont été incorporées plus ou moins consciemment dans le droit musulman aboutissant à une dégradation du message éthique de la révélation en religion du droit positif. Celui-ci tend à se dogmatiser et à revendiquer abusivement un statut d’orthodoxie alors que l’essentiel de la charia vise à une orthopraxie[réf. nécessaire].
Dans son livre, Loi d’Allah, Loi des hommes, elle considère que le point d’arrivée est un système coercitif omettant le principe juridique fondamental en islam que « tout ce qui n’est pas expressément défendu est permis. »41,42.
Selon la plupart des autres penseurs contemporains du monde musulman, ce n'est pas de la charia que provient ce décalage avec la modernité, mais plutôt du fait que la jurisprudence islamique n'a plus évolué depuis plusieurs siècles. Plusieurs passages du Coran commandent de tenir compte des mœurs43.
Les modalités du droit en islam ne sont pas inaliénables. Ainsi, le mode d'établissement des preuves des crimes est par principe ouvert à toute nouvelle méthode, qui peut être utilisée lors de jugements devant le cadi. De même, les condamnations par Taʿzīr peuvent devenir des peines autres que des châtiments corporels, car le cadi est en droit d'élaborer une peine selon ce qu'il juge sage44. Il n'existe tout bonnement pas de canon au sujet du Taʿzīr. Ainsi, Tariq Ramadan propose un moratoire concernant les châtiments corporels depuis 2003 en se fondant sur cette approche théorique45.
Concernant le cas de l'esclavage, le Coran commande d'utiliser une partie du budget de l'État pour l'émancipation des esclaves46. Et il ne commande pas d'asservir systématiquement les prisonniers de guerre en esclavage, ceci étant laissé au choix des dirigeants47. Ainsi l'idée de caducité est perçue de différentes façons, en fonction des grilles de lecture.

Droits de l'Homme

Alors qu'au VIIe siècle la Charia présentait un corpus significatif de principes conformes aux droits de l'homme — respect de la vie, dignité de l'homme, tolérance, rejet de la contrainte en matière d'adhésion religieuse, ainsi que des avancées démocratiques en matière d'élection et de consultation — ces principes se sont dilués avec la projection fusionnée des règles religieuses, juridiques et politiques de la Charia dans le fiqh, et l'application d'une orthodoxie clamant « l'absence d'une lex aeterna et la stérilité de la raison humaine au regard de la toute puissance de Dieu »48.
Les abondants travaux sur les rapports entre Charia (prise comme application de sa composante juridique, fiqh inclus) et droits de l'Homme concluent en général à l'incompatibilité entre les deux49.
La Cour européenne des droits de l'homme, dans un arrêt du 31 juillet 2001 Refah Partisi c. Turquie, fait observer l’incompatibilité du régime démocratique avec les règles de la charia50.
« À l’instar de la Cour constitutionnelle, la Cour reconnaît que la charia, reflétant fidèlement les dogmes et les règles divines édictées par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont étrangers des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques. La Cour relève que, lues conjointement, les déclarations en question qui contiennent des références explicites à l’instauration de la charia sont difficilement compatibles avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention, comprise comme un tout. Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’Homme, et de soutenir un régime fondé sur la charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention, notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique, et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses. »
En Grèce, l'instauration en 1914 de la Charia en Thrace, initialement pour ses principes religieux et en direction des seuls musulmans de la région, s'est commuée en une application du droit islamique pour tous les grecs musulmans y compris dans leurs rapports avec des étrangers et des non-musulmans ; elle a également débordé le cadre géographique de la Thrace occidentale51,52,53. Le Conseil de l'Europe reproche régulièrement au gouvernement un traitement de la communauté musulmane peu compatible avec les normes des droits de l’homme européennes et internationales, et l'invite à contrôler les décisions élaborées par les muftis53,54.
Quelques pays appliquant la charia ont refusé de ratifier le pacte international relatif aux droits civils et politiques ou ne l'ont signé qu'avec des réserves55,56,57,58, notamment concernant les articles 18 prévoyant la liberté de changer de religion et 23 posant le principe de l'égalité entre époux59,60. Toutefois, même les États arabo-musulmans ayant adhéré à la Charte des droits de l'homme et au pacte international sans réserves privant ceux-ci de leur substance éprouvent des difficultés à retranscrire ces principes dans leur système juridique, en raison de la prégnance plus ou moins grande de la Charia dans leurs sources de droit59,56. Pour les mêmes raisons, très peu d'entre eux ont adhéré à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes59.

Implications en France

Article détaillé : Laïcité en France.
À Mayotte (département d'outre-mer français depuis le mois d'avril 2011), dont la population est à 95 % de confession musulmane, la laïcité était fondée sur un principe similaire à celui du Concordat en Alsace-Moselle, avec des éléments de droit musulman intégrés au droit civil. Néanmoins, avec la départementalisation, le droit commun est devenu la seule référence légale, et le cadi ne dispose plus d'un pouvoir judiciaire mais de médiation, notamment en matière familiale61. Jusqu'à la mise en œuvre de la loi 2001-616 du 11 juillet 2001, « les Mahorais musulmans (c’est-à-dire les Français considérés comme originaires de Mayotte) étaient automatiquement soumis à un statut personnel dérogatoire dont la composante essentielle était le droit coranique. Ce droit permettait de régler les questions d’état-civil, de mariage, garde d’enfant, entretien de la famille, filiation, répudiation et succession. Pour des raisons de possible trouble à l’ordre public, les dispositions d’ordre pénal n’étaient pas appliquées (comme la lapidation de la femme adultère). Les autres résidents de Mayotte (les métropolitains ou les étrangers même musulmans) relevaient du droit commun »53.

La religion est cependant un élément essentiel de la vie des Mahorais et conditionne leurs relations et ponctue le rythme de leur vie. Elle influence la coutume locale.

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