Ce valeureux compagnon avait dit à la fin de sa longue vie : « J'ai prêté allégeance au Messager

et depuis je n'ai pas trahi, je n'ai pas prêté allégeance à un
partisan de sédition et je n'ai pas réveillé un croyant de son sommeil. »
Ce témoignage résume la vie de cet homme de bien qui avait vécu 85 ans. Sa relation avec l'Islam et le Prophète

commença le jour où les musulmans allaient sortir pour Badr. Il
accompagna son père Omar Ibn al-Khattab au regroupement, avec
l'intention de prendre part à l'expédition. Mais le Prophète

ne l'accepta pas, en raison de son très jeune âge. Abdallah n'avait que
13 ans. Depuis ce jour-là, ou plutôt depuis le jour où il fit l'exode à
Médine avec son père, ses liens se tissèrent avec l'Islam.
Il apprit de son père une partie du bien ; avec son père il apprit du Prophète

tout le bien. Comme son père, il sut être un bon croyant. Il voyait comment le Prophète

procédait puis il l'imitait. Il suivait le Prophète

en tout, si bien que cela étonnait.
Là, le Prophète

avait fait une prière. Eh bien! Ibn Omar y faisait une prière. Là-bas, le Prophète

faisait des invocations debout. Eh bien! Ibn Omar y invoquait debout. En cet endroit-là, lors d'un voyage, le Prophète

descendit de sa chamelle et fit deux rak'a. Eh bien! Ibn Omar appliquait la même chose quand il passait par le même endroit.
Bien plus, quand il allait à la
Mecque, il faisait tourner sa chamelle deux fois à telle place, puis
descendait et priait deux rak'a, parce qu'il avait vu le Prophète

agir ainsi. Son imitation presque parfaite du Prophète

dans les actes de dévotion avait fait dire à Aicha

: « Il n'y avait personne qui suivait les actions du Prophète

comme Ibn Omar. »
Durant sa longue vie, il était si dévoué et attaché aux traditions du Prophète

que le musulman disait : « Ô Dieu! garde Abdallah en vie tant que je
vis pour que je fasse comme lui. C'est que je ne connais pas quelqu'un
d'autre comme lui qui suit le rite de la première époque. »
En plus de ce respect scrupuleux des faits et gestes du Prophète

,
Ibn Omar était très attentif quant à rapporter les hadiths. Ses
contemporains avaient laissé ce témoignage : « Parmi les compagnons du
Messager de Dieu, personne n'était plus prudent qu'Ibn Omar à rapporter
fidèlement les hadiths du Messager. »
Il l'était aussi dans le domaine des
fatwas. Une fois, un musulman lui ayant demandé un avis religieux sur
une question, Ibn Omar avait dit : « Je n'ai pas de connaissance sur ce
que tu m'interroges. » Puis, tout content, il avait dit : « J'ai été
interrogé sur ce que je ne sais pas et j'ai dit que je ne savais pas! »
Ainsi, il craignait beaucoup de prendre l'initiative d'une fatwa, bien
qu'il menât une vie conforme aux préceptes de la religion musulmane.
Sa crainte de Dieu lui dictait aussi
de ne pas accepter la fonction de cadi. Il refusa cette fonction en
dépit des demandes répétées du khalife Othman. Quand ce dernier lui dit :
« Est-ce que tu me désobéis ? » Ibn Omar dit : « Pas du tout. Mais je
sais qu'il y a trois types de cadis. Il y a le cadi qui juge par
ignorance : celui-là ira au Feu. Il y a aussi le cadi qui juge par
passion : celui-là ira au Feu. Et il y a le cadi qui fait effort et qui
atteint le but : Celui-là a ce qui suffit pour survivre, sans fardeau et
sans salaire... Au nom de Dieu, je te demande de m'en dispenser. »
Sur ce, Othman le dispensa de cette tâche si ingrate.
C'est que Abdallah ben Omar préférait s'occuper de lui-même. Il
recherchait toujours la chasteté, la purification permanente de son âme.
Il était le compagnon de la nuit : il la passait en prières et en
invocations pieuses.
Etant jeune, il avait vu un rêve, que le Prophète

le lui avait interprété de la façon suivante : La prière de nuit serait
la joie d'Ibn Omar. Celui-ci avait raconté son rêve ainsi : « Du vivant
du Messager

,
je me suis vu en rêve tenant un morceau de brocard. Chaque fois que je
voulais un endroit du Jardin, il m'y emmenait après m'avoir pris en vol.
J'ai vu aussi deux (anges) venir à moi. Ils voulaient m'emmener au Feu,
mais un autre ange s'est interposé et a dit : « N'aie pas peur. » Puis,
tous deux m'ont laissé.
Hafsa (ma soeur) a raconté le rêve au Prophète

qui a dit : « Quel excellent homme est Abdallah ! s'il faisait des
prières la nuit et en multipliait. » Depuis ce jour-là, Ibn Omar ne rata
aucune prière nocturne, qu'il fût chez lui ou en voyage. Il priait,
récitait le Coran, invoquant beaucoup. Obayda ben Omayr avait dit : « Un
jour, j'ai récité devant Abdallah Ibn Omar.
"Comment seront-ils
quand Nous ferons venir de chaque communauté un témoin et que Nous te
(Muhammad) ferons venir comme témoin contre ces gens-ci ? Ce jour-là,
ceux qui n´ont pas cru et ont désobéi au Messager, préféreraient que
la terre fût nivelée sur eux et ils ne sauront cacher à Allah aucune
parole." (Coran 4, v. 41-42). Alors, il s'est mis à pleurer si bien que ses larmes ont mouillé sa barbe. »
Une autre fois, alors qu'il était assis avec des musulmans, il récita : "Malheur
aux fraudeurs, qui lorsqu'ils achètent aux gens leur prennent large
mesure, et lorsqu'ils leur vendent, à la mesure ou au poids, leur font
perdre. N'appréhendent-ils pas, ceux-là, d'être ressuscités, en un Jour
solennel ? Un Jour où les hommes comparaîtront devant le Maître des
univers." (Coran 83, v. 1 à 6). Puis, il se mit à répéter "Un Jour où les hommes comparaîtront devant le Maître des univers" pendant qu'il pleurait à chaudes larmes.
* * *
Sa générosité, son ascétisme, sa
piété agissaient en lui en une grande harmonie pour former les qualités
de l'homme vertueux. En effet, Ibn Omar donnait sans compter parce qu'il
était un généreux ; il donnait la chose bonne, licite parce qu'il était
un pieux, et il ne se souciait pas que sa générosité le laisserait
pauvre, parce qu'il était un ascète.
Certes, Ibn Omar avait des revenus
appréciables - il était un commerçant - et aussi une pension que lui
versait le Trésor public (Bayt al-Mal). Mais il ne réservait pas tout
cela à lui seul. Au contraire, il en donnait aux pauvres, aux démunis,
etc...
Ayoub ben Wail racontait qu'Ibn Omar
avait un jour reçu 4000 dirhams et une pièce de velours. Le jour
suivant, il le vit au souk en train d'acheter à crédit une quantité de
fourrage pour sa monture. Alors, Ayoub alla interroger la femme d'Ibn
Omar : « N'a-t-il pas reçu 4000 dirhams ainsi qu'une pièce de velours ? -
Oui, répondit-elle. - Je l'ai vu aujourd'hui au souk en train d'acheter
du fourrage pour sa monture, sans en avoir le prix... - Il n'est rentré
hier soir qu'après avoir distribué la somme. Puis il a pris la pièce de
velours sur son épaule et il est sorti. A son retour, elle n'était plus
avec lui. Nous lui avons posé la question et il a répondu qu'il en
avait fait don à un pauvre. »
C'est vrai, Ibn Omar n'était pas un
avare. Les biens matériels ne faisaient que passer par ses mains. Il en
donnait toujours aux nécessiteux et aux pauvres. Et puis, il ne mangeait
jamais seul. Il invitait régulièrement des orphelins ou des misérables.
C'est pourquoi les pauvres se mettaient sur son chemin, pour être
invités.
Le bien matériel était au service d'Ibn Omar, non un
maître ; un moyen de vie, non de faste. Sa fortune n'était pas à lui
seul mais aussi aux pauvres. C'était sa piété qui l'avait aidé à être
généreux. Il ne se passionnait pas pour les biens de ce monde comme il
ne les recherchait pas. Il se suffisait du simple vêtement pour
s'habiller et de la nourriture pour dominer sa faim.
Une fois, un ami venant de Khorasan lui offrit un
vêtement doux. Ibn Omar dit, en le touchant : « Est-ce de la soie ? » -
Non, dit l'autre, c'est du coton. - Non, dit Ibn Omar en repoussant
l'habit de sa main, je crains qu'il ne me transforme en un vaniteux.
Alors que Dieu n'aime pas le vaniteux. »
Une autre fois, un ami à lui apporta un bol rempli et
le lui offrit : « Qu'est-ce que c'est ? demanda Ibn Omar. - C'est un
médicament très efficace, dit son ami. Je te l'apporte d'Irak. - Et que
guérit ce médicament ? - Il aide à digérer les aliments. - Digérer les
aliments? dit Ibn Omar en souriant, mais je ne me suis jamais rassasié
depuis 40 ans. »
Ainsi, depuis une quarantaine d'années, il ne
mangeait que pour tromper la faim. Il menait sa vie ainsi par piété et
ascétisme. Il avait pour modèle le Messager

et il craignait qu'on lui dît au Jour de la résurrection :
"Vous avez épuisé vos bonnes actions durant votre vie d'ici-bas, à loisir vous en avez joui." (s. 46, v.20). Il savait bien qu'il n'était que de passage dans cet ici-bas.
Maymoun Ibn Mahran : « Je suis entré chez Ibn Omar et
j'ai évalué ce qu'il y avait comme couche, couverture, tapis, etc. Tout
cela n'équivalait pas les cent dirhams. » Cela n'était pas dû à la
pauvreté, puisqu'Ibn Omar était riche, et cela n'était pas dû à
l'avarice puisqu'Ibn Omar était généreux. Au contraire, cela était le
résultat de l'ascétisme. Quand on lui parlait des plaisirs de ce monde,
il disait : « Mes compagnons et moi, nous nous sommes unis pour une
cause, et je crains, si je les contredis, de ne pas les rejoindre. »
* * *
Par ailleurs, Ibn Omar avait dit : « Ô Dieu! Tu sais
bien que si ce n'est le fait que nous te craignons, sûr que nous ferons
concurrence contre les nôtres que sont les Qoraychites. » En effet, si
ce n'était la crainte de Dieu, il aurait disputé le pouvoir. Mais il
n'avait pas besoin de se jeter dans la bataille pour cette vie
d'ici-bas.
On lui avait proposé le khalifat plusieurs fois, on
avait bien voulu lui forcer la main par des menaces de mort au cas où il
refusait le poste de khalife. Mais lui refusait. Al-Hasan rapporte : «
Après l'assassinat de Othman Ibn Affan, ils ont dit à Abdallah Ibn Omar :
"Tu es le seigneur des gens, ainsi que le fils de leur seigneur. Alors,
sors pour que nous t'assurons l'allégeance des gens." Il a refusé. Sur
ce, ils ont dit : "Ou tu sors ou nous te tuons sur ta couche!" Il leur a
dit la même chose. Ils l'ont appâté, ils lui ont fait peur, mais ils
n'ont rien eu de lui. »
Plus tard, quand les troubles devinrent plus graves,
un homme alla le trouver et lui dit : « Il n'y a pas pire que toi pour
la communauté de Mohammad. - Mais pourquoi ? Par Dieu ! Je n'ai pas fait
couler leur sang, je n'ai pas divisé leurs rangs et je n'ai pas brisé
leur union. - Si tu décides d'accepter le khalifa, il n'y aura même pas
deux pour diverger à cause de toi. Je n'aime pas, quand j'obtiendrai le
pouvoir, que quelqu'un dise : "Oui" et qu'un autre dise : "Non".
Plus tard encore, quand Mouawiya ben Yazid
démissionna de son poste de khalife, Marouan alla proposer à Ibn Omar
d'être le nouveau khalife. « Donne-nous la main pour te prêter
allégeance. Tu es le seigneur des Arabes, ainsi que le fils de leur
seigneur, dit Marouan. Que ferons-nous des habitants du Levant ? dit ibn
Omar. - Nous leur frapperons le cou jusqu'à ce qu'ils prêtent
allégeance ! - Par Dieu ! Je ne veux pas du tout (de ce pouvoir). »
* * *
Ibn Omar avait toujours condamné l'usage de la force
entre les musulmans. C'est pourquoi il avait adopté une position de
retrait, de neutralité quant au conflit sanglant entre les partisans de
Mouawiya et les partisans d'Ali. Mais son non-alignement ne signifiait
pas qu'il se taisait devant les injustices. Il avait maintes fois
exprimé son opposition ou son désaccord contre Mouawiya alors que
celui-ci était au sommet de sa puissance.
Un jour, al-Hajjaj avait dit dans un discours : « Ibn
az-Zoubayr a procédé à des falsifications dans le Livre de Dieu. » Ibn
Omar avait alors dit immédiatement, à voix haute : « Tu mens! tu mens!
tu mens! »
Malgré son franc parler, il était très soucieux de ne
pas avoir le moindre rôle dans le conflit armé qui secouait les
musulmans. D'autre part, il était très peiné de voir les musulmans qui
s'entretuaient.
Toutefois, son coeur était avec Ali. A la fin de sa
vie, il avait dit : « J'ai de la peine pour une chose que j'ai laissé
passer dans cet ici-bas. C'est que je n'ai pas combattu avec Ali le
groupe injuste. » Quand il avait refusé de combattre avec le Calife Ali,
qui avait le droit de son côté, il l'avait fait par refus des troubles
dans la communauté musulmane. Lorsqu'il fut interrogé sur sa réserve à
soutenir Ali, il avait dit : « Ce qui m'en empêche, c'est que Dieu a
interdit de faire couler le sang du musulman. Dieu a dit "Combattez-les jusqu'à ce qu'il n'y ait plus trouble, et que la religion soit rendue à Dieu."
(Coran 2.193). Nous avons agi en conséquence. Nous avons combattu les
polythéistes jusqu'au jour où la religion a été rendue à Dieu. Mais,
aujourd'hui, pourquoi combattrions-nous ? J'ai combattu alors que les
idoles remplissaient le Sanctuaire du coin jusqu'à la porte... Est-ce
que je combattrai aujourd'hui celui qui dit : il n'est de dieu que Dieu ?
»
Ainsi raisonnait-il, ainsi argumentait-il. Il
refusait tout simplement la guerre civile dans la communauté musulmane.
Il détestait qu'un musulman dégainât son sabre contre un autre musulman.
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