jeudi 10 août 2017

  • Lundi, un hoax a été relayé par certains médias français sur une prétendue «baignade républicaine géante» en Algérie. Retour sur un feuilleton qui passionne la presse depuis le mois de juillet.

    Sur la plage de Sidi-Fredj, à 20 kilomètres d'Algers, en 2009. © FAYEZ NURELDINE Sur la plage de Sidi-Fredj, à 20 kilomètres d'Algers, en 2009. Un an après les polémiques autour du burkini sur les plages hexagonales, le feuilleton de l’été 2017 se déroule cette fois en Algérie. Les titres divergent, «la révolte du bikini» ou «l’opération bikini», mais la passion des médias français est importante, quitte à s’emballer et relayer de fausses annonces. Ainsi, Marianne annonçait dimanche «une baignade républicaine géante organisée le 7 août» sur la plage de Tichy. La localité balnéaire de Kabylie, située près de Béjaïa (250 kilomètres à l’est d’Alger), «devient le rendez-vous de toutes celles et ceux qui veulent vivre des vacances libres», selon l'hebdomadaire. Lundi, l’information était reprise par plusieurs médias français. BFM TV parle d’une «nouvelle opération bikini en Algérie», 20 Minutes annonce que «jusqu’à 3 000 femmes» sont attendues pour une «baignade républicaine géante».
    Pourtant, le jour de «la baignade républicaine géante», aucun journaliste algérien ou étranger n’a pu constater le déroulement d’une «opération bikini». Kamel Medjdoub, chef du bureau de Béjaïa du quotidien El Watan est formel : «Aucune baignade républicaine n’a eu lieu» lundi. «C’était une journée ordinaire avec son lot de maillots ordinaires de toutes sortes», a-t-il assuré à l’AFP. L’Observ’Algérie ira même jusqu’à parler de «canular» dans son papier en ligne titré : «"Une baignade républicaine géante" à Béjaïa : Le journal français Marianne piégé.» Notons que, dans la législation algérienne, le burkini n’est pas interdit. Les femmes se baignent en maillot deux pièces, habillées ou en burkini.




    Selon le l’Observ’Algérie, la rumeur de baignade républicaine géante sur la plage de Tichy aurait été lancée par un «jeune facebooker de Béjaïa habitué à ce genre d’événements en réaction aux polémiques qui enflent en Algérie». De son côté, le journal Marianne, accusé d’avoir relayé de fausses informations, a répondu ce mardi dans une note de la rédaction : «L’article incriminé n’a pas relayé un hoax trouvé en surfant sur Internet, d’ailleurs éventé bien avant la parution de notre article. Il a été écrit par notre correspondant en Algérie, Atmane Tazaghart, qui a fait son travail en se rendant sur place et en discutant avec ces femmes qui revendiquent simplement leur droit à se baigner dans la tenue qui leur sied – ce que d’aucuns ont surnommé la "révolution du bikini", bien que les intéressées ne revendiquent pas cette appellation.»

    De prétendues «opérations bikini» lancées en début d’été

    Annoncée sur les réseaux sociaux, cette baignade était censée faire écho à de prétendues «opérations bikini» lancées en début d’été à Annaba (600 kilomètres d’Alger) pour, selon certains médias algériens, français, italiens ou britanniques, imposer par le nombre les bikinis sur les plages locales, explique l’AFP. En effet, le début de l’été a été marqué en Algérie par des femmes se donnant rendez-vous sur la plage pour des baignades en bikini à plusieurs afin d’éviter d’être importunées, voir agressées verbalement, par des hommes grossiers ou des moralisateurs leur demandant de faire preuve de plus de pudeur. Ces femmes ont été érigées par la presse en militantes en bikini contre l’archaïsme, le sexisme et un islam rigoriste.
    Le Huffpost Maghreb nous apprend que ce feuilleton de plage a été lancé le 10 juillet par leProvincial, un journal régional qui paraît à Annaba et qui aurait écrit : «sur les réseaux sociaux, des milliers de jeunes ont choisi de lancer une campagne pour éradiquer le bikini» qui devra être remplacé par le «burkini», sans quoi les femmes risquaient de «se faire agresser verbalement et pourquoi pas physiquement au nom de la religion». L’article évoquait «un groupe de 2 876 femmes» qui «s’organise chaque semaine sur les réseaux sociaux pour protester de manière pacifique en se baignant en maillot de bain sur les plages de la ville», en réaction à une «campagne» islamiste sur internet appelant à photographier les femmes en maillot et les publier en ligne, explique de son côté l’AFP.

    «Il n’en fallait pas plus pour faire baver la presse française»

    Si le groupe Facebook «Quelle plage à Annaba ?» existe bien, il n’a pas été créé par militantisme probikini mais pour se rendre en groupe sur la plage afin de se protéger du harcèlement de certains hommes, a expliqué l’une de ses membres à l’AFP. Le groupe a été créé fin juin, a déclaré Sarah, 24 ans, étudiante à Annaba : «J’ai adhéré début juillet […] parce que je trouvais que nous n’étions pas à l’aise pour nager. Nous ne voulions pas être dérangées. Jusqu’à présent, nous nous sommes retrouvées à une vingtaine de femmes sur la même plage […] en général la plage de Séraidi», à Annaba. Sarah dit connaître «une centaine de personnes de ce groupe». «Je n’ai pas accès à la totalité des membres de ce groupe et je ne les connais pas tous» mais «il n’y a jamais eu de baignade à 3 000 femmes», a-t-elle assuré à l’AFP.
    Des internautes ont également fait part de leur circonspection à l’égard du prétendu mouvement de «la révolte du bikini» ou de la «baignade républicaine», dont une grande partie de la presse s’est emparée, y compris dans la ville d’où il est parti, Annaba. Ci-dessous, un extrait de l’émission 28 minutes d’Arte évoque «3 600 femmes» sans préciser si elles étaient toutes simultanément à la plage ou s’il s’agit du nombre de membres sur le groupe Facebook «Quelle plage à Annaba ?».



    Le Huffpost Maghreb relève «pas moins de onze articles de la presse française et une info au JT (de France 3)» qui se sont fait «l’écho d’une information dont le point de départ a été une obscure "opération" sur Facebook». Pour le journaliste Mohamed Mehdi, l’histoire rassemblait simplement trop d’éléments à même de faire grand bruit : «Il n’en fallait pas plus pour faire baver la presse française. Il faut dire que tous les mots-clés y sont : Algérie, femme, bikini, protester, agression (verbale et «pourquoi pas» physique), mais surtout… religion !»


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