mardi 6 décembre 2016

ʿĪsā

Page d'aide sur l'homonymie Pour les articles homonymes, voir ISA et Issa (homonymie).
 Cet article traite de Jésus en tant que prophète et messie pour les musulmans. Voir Jésus de Nazareth pour l'aspect historique de Jésus et Jésus-Christ pour Jésus en tant que Christ pour les chrétiens.
ʿĪsā ibn Maryam
(ʿĪsā fils de Maryam)
Image illustrative de l'article ʿĪsā
Maryam (Marie) et Jésus-Îsâ (ancienne miniature persane)
prophète
Naissance Inconnue (entre avant 20 av. J.-C. et 6 après J.-C.)
Bethléem (Judée) ou Nazareth (Galilée)
Décès 30, 33 ou 36 selon les historiens, mais dans l'islam Îsâ n'est pas mort
Jérusalem
Autres noms Jésus de Nazareth, Jésus-Christ, Yeshu haNotzri
Vénéré par les musulmans
ʿĪsā (ʿīsā, عيسى) aussi transcrit Issa1, connu sous le nom de Jésus en Occident est le nom sous lequel est connu Jésus de Nazareth dans l'islam, bien que le nom de Yasū'a soit aussi connu. Il est appelé indistinctement Îsâ ou Yasū'a par les chrétiens d'orient et spécifiquement les Arabes chrétiens, le nom Yasū'a ou Yazu correspondant au nom Jésus, Yeshua, Yeshu. Il est considéré comme l'un des prophètes de l'islam et le Messie.
La façon dont le Coran présente Jésus est en forte opposition avec le credo développé par les Églises chrétiennes depuis le premier concile de Nicée et les courants chrétiens trinitaristes issus des sept Conciles œcuméniques. ʿĪsā, dans le Coran, est plus proche des nazôréens, mouvement des premiers chrétiens ayant la particularité de suivre à la fois les croyances et les préceptes du judaïsme et de la loi juive tout en reconnaissant le messie en Jésus de Nazareth qu'ils qualifient de « serviteur de Dieu », croyant en lui tant dans son humanité que dans l'origine divine de son message, sans toutefois le reconnaître comme Dieu.

Sommaire


Dans le Coran

Marie se nourrissant de dattes après avoir enfanté dans la douleur au pied du palmier (manuscrit turc du XVIe siècle).

Sa famille

ʿĪsā dans les textes coraniques est un personnage indissociable de sa mère Maryam (Marie)2. Il est ainsi souvent désigné sous le nom de Al-Masih (le Messie)3 ʿĪsā ibn Maryam (Jésus fils de Maryam) présenté avec celle-ci comme modèles à suivre4. Le Coran le fait naître au pied d'un palmier près d'une source (sourate 19, 22-26), ce récit semblant une transposition du thème de la station de Marie sous un palmier dans l'Évangile du Pseudo-Matthieu5.
ʿĪsā fait partie des prophètes dits famille de 'Īmran avec sa mère, son cousin Yahyā (Jean le Baptiste) et le père de celui-ci Zacharie6. Le Coran et la foi populaire musulmane accordent une grande importance à ʿĪsā et Maryam7. Tandis qu'ʿĪsā est tourné vers la beauté du monde, il apparait souvent avec son cousin Yahyā, ascète radical, avec lequel il forme une sorte de « gémellité spirituelle permanente »8.
L'insistance marquée sur la filiation à Maryam est un clair rejet de la filiation divine de ʿĪsā ; néanmoins, la tradition musulmane souligne le caractère miraculeux de sa naissance virginale sans père. Contrairement au Credo de Nicée-Constantinople qui reconnait que Jésus est engendré, non pas créé, la tradition musulmane affirme que ʿĪsā est directement créé par la Parole de Dieu "kun" (« Sois » en arabe ), l'« impératif divin » manifesté par un rûh de Dieu, souffle divin intemporel insufflé en Maryam, le même souffle qui anime Adam et transmet la révélation aux Messagers, notamment à Mahomet9,10.

Prophète

Miniature persane représentant Jésus lors du sermon sur la montagne
Dans le Coran, ʿĪsā, le Messie, fils de Maryam11, est un prophète, annonciateur de Mahomet, qui prêche le monothéisme pur, accomplit des miracles, opère des guérisons, ressuscite les morts et connaît les secrets du cœur. ʿĪsā confirme la Torah, dont il atténue les prescriptions légales12, tandis qu'il reçoit de la part de Dieu l'Injil (l'Évangile), présentée comme une « guidance et une lumière13 » que les chrétiens auraient négligées. L'auteur soufi Ibn Arabi, lui confère le titre de « sceau de la sainteté », « le plus grand témoin par le cœur », tandis que Mahomet est le « sceau des prophètes », « le plus grand témoin par la langue14 ». Sa prédication auprès des juifs aurait été un échec15 et il est suivi des seuls apôtres. Les juifs auraient alors voulu le punir en le crucifiant mais Dieu ne l'a pas permis et lui aurait alors substitué un sosie16 avant de le rappeler à lui : « mais Allah l’a élevé vers Lui. Et Allah est Puissant et Sage. » (Sourate 4, 158).
La représentation de ʿĪsā dans le Coran lui confère également une dimension eschatologique17,18 : son retour sur terre, en tant que Massih (Messie) musulman, est le signe de la fin du monde et du Jugement dernier tandis que beaucoup de hadiths le présentent comme le principal compagnon du Mahdi, Sauveur de la fin des temps19.
ʿĪsā occupe ainsi une place prééminente dans le Coran. Alors que ce texte sacré n'apporte que peu d'éléments biographiques concernant Mahomet (il n'y est d'ailleurs cité que quatre fois)20, il mentionne Jésus une douzaine de fois : il place Jésus comme un des prophètes à l'instar de Mahomet, mais lui donne des titres supérieurs à celui de Mahomet, tels que celui d'envoyé (rasoul), de Messie, de « Parole de Dieu » et d'« esprit de Dieu » (sourate 4, 21 et 91)21

Ce que ʿĪsā n'est pas

En définitive, on trouve dans le Coran quatre négations catégoriques concernant ʿĪsā, par crainte d'associationnisme (shirk)14 : il n'est ni Dieu, ni son fils, ni le troisième d'une triade22 — la Trinité étant assimilée au polythéisme —, pas plus qu'il n'a été crucifié23 car cela aurait été « indigne » d'un prophète de son importance14.
L'islam considère Jésus comme un prophète très important, il n'y a aucune différence entre les prophètes de Dieu quant à leur mission24.

La crucifixion

La rivière du Jourdain où certains hadiths racontent que Jésus rencontra Yahya ibn Zakariya (Jean-Baptiste)25.
Le Coran remet en cause explicitement la crucifixion de ʿĪsā par les Juifs : « Or, ils ne l'ont ni tué ni crucifié ; mais ce n'était qu'un faux semblant26 ! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont vraiment dans l'incertitude : ils n'en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures et ils ne l'ont certainement pas tué » (Sourate 4, 157)27.
Selon les commentateurs musulmans, Jésus de Nazareth n'a pas été crucifié par les Juifs, bien que certains le revendiquaient par provocation. Dieu a donné l'illusion aux Juifs qu'ils avaient crucifié Jésus mais c'est une ruse contre le peuple qui a trahi son alliance, Dieu l'ayant rappelé vivant auprès de lui. Ainsi, à propos de la crucifixion Tabarî (839-923) rapporte l'épisode suivant : « Les juifs traînèrent ʿĪsā à un endroit où ils avaient préparé une croix pour le crucifier, et un grand nombre de juifs se rassemblèrent autour de lui. Ils avaient un chef nommé Yesûʿa, qui était également parmi eux. Quand ils voulurent attacher ʿĪsā à la croix, Dieu l'enleva à leurs regards et donna la forme et l'aspect de `Îsâ à Yesûʿa, leur chef. […] Quand ils regardèrent, ils virent Josué entièrement ressemblant à Îsâ, et ils le saisirent. Il dit : "Je suis Josué". Ils répondirent : "Tu mens ; tu es ʿĪsā, tu t'es dérobé à nos regards par la magie ; maintenant la magie est passée et tu es devenu visible". Il protesta en vain qu'il était Josué ; ils le tuèrent et l'attachèrent à la croix. Quant à ʿĪsā, Dieu l'éleva, au ciel comme il est dit dans le Coran : "Ils ne l'ont pas tué et ils ne l'ont pas crucifié, mais ce n'était qu'un faux-semblant" (Coran IV, 157)28 ». Le plus ancien témoin littéraire de cette tradition se trouve chez Leucius Charinus un auteur chrétien du début du IIe siècle qui avait été compagnon de l'apôtre Jean de Zébédée. Les Actes dont il est l'auteur semblent avoir eu largement cours bien avant qu'une sélection en ait été lue à haute voix au Deuxième concile de Nicée (787) et rejetée comme apocryphe.
Dans le christianisme contemporain, on estime traditionnellement que ce verset du Coran est typiquement une construction littéraire à caractère polémique contre les juifs qui se serait inspiré de la thèse de la non crucifixion de Jésus développée précédemment par des hérésies chrétiennes, le docétisme ou le gnosticisme, qui considéraient la peine infamante de la crucifixion incompatible avec la dignité divine de Jésus29,30. Le chrétien Michael Marx estime que le passage du Coran sur lequel se fonde l'affirmation des commentateurs musulmans est ambiguë et prête à discussion31.
Par la suite, la thèse du sosie crucifié est reprise par de nombreux commentateurs musulmans qui proposent plusieurs personnages crucifiés à la place de Jésus : Simon de Cyrène, Judas Iscariote (thèse popularisée par l'Évangile de Barnabé), Ponce Pilate, voire l'apôtre Pierre32.

Nature de ʿĪsā

La nature de ʿĪsā est particulièrement complexe à déterminer. Le Coran nie explicitement la divinité d’ʿĪsā (Coran V, 17). Néanmoins, sa naissance particulière en fait un homme à part. De même, sa nature -Kalima (Parole)33, Rûh’ (Esprit)- possède une dimension spirituelle forte.
Selon Merad Ali, à la différence des autres prophètes, ʿĪsā n’est jamais désigné par le terme bachar, qui aurait déterminé sa nature humaine sans ambiguïté34.

Points de convergence avec le Christianisme

ʿĪsā est le fils d'une vierge qui s'appelle Maryam ("Marie" en français), modèle éminent de vertus pour toutes les croyantes35 ; ʿĪsā est un prophète rempli d’Esprit Saint (sourate 2 [Al-Baqarah], 87) et messie36 dans les deux religions (mais les chrétiens ajoutent qu'en plus de sa nature humaine, il est Dieu, ce que rejette explicitement le Coran) ; "fils pur" donné à Marie (sourate 19 [Maryam], 19), préservé de Satan37, ʿĪsā n'a jamais péché38 ; ʿĪsā est "la parole de Vérité" (sourate 19 [Maryam], 34), il est "La Parole de Dieu" (Sourate 4 [AN-NISA'], 171) et il est le signe au monde de la Miséricorde, de la paix et de la joie de Dieu (sourate 19 [Maryam], 21 et 32) ; ʿĪsā, par la puissance et la volonté de Dieu, guérit les aveugles et les lépreux, ressuscite les morts et connaît ce qu'il y a à l'intérieur des cœurs (sourate 3 ['Ali `Imran], 49) ; ʿĪsā est monté au ciel (sourate 4 [An-Nissa], 158 ; sourate 3 ['Ali `Imran], 55) et il est vivant ; ʿĪsā reviendra à la fin des temps (Hadith 46.31).

Approche critique

ʿĪsā possède de nombreux points communs avec Jésus, tel qu'il est décrit dans les évangiles : fils d'une vierge, sans péché, faisant des miracles, comme dans les écrits chrétiens. Certaines recherches coraniques prouveraient le rôle de la théologie nazaréenne dans la rédaction de certaines parties du Coran39 ou dans la reprise de textes chrétiens, en particulier dans des lectionnaires utilisés dans les Églises chrétiennes de Syrie, au sein même du Coran40 (La présence de Nazaréens, tel Waraqa ibn Nawfal, est attestée dans l'entourage de Muhammad).
En revanche, comme chez les nazôréens et les sabéens-elkasaïtes, Îsâ est un homme, un serviteur de Dieu, le Messie (al messiah), mais pas Dieu lui-même. La pratique des ablutions pourraient être la forme des bains quotidiens que les sabéens-elkasaïtes pratiquaient dans une région où il est souvent très difficile de trouver de l'eau vive. L'interdiction de manger du porc, ne posant aucun problème aux nazôréens qui tentaient de respecter les interdits alimentaires tels qu'ils figurent dans la Torah et n'en posant pas non-plus aux sabéens-elkasaïtes qui prônaient le fait de s'abstenir de manger toute viande. Enfin, comme les nazôréens et les sabéens-elkasaïtes, le prophète Muhammad et ses partisans priaient en direction de Jérusalem au début du mouvement, la qibla étant changée pour prier en direction de la Mecque à une date indéterminée. Il en est de même de la circoncision qui selon les Pères de l'Église avaient une grande importance dans ces deux groupes. D'autre-part, la doctrine du « Vrai prophète » qui tient une grande place dans la théologie de ces deux groupes se retrouve d'une certaine façon appliquée au prophète Muhammad dans l'islam.
Bien que ces groupes très minoritaires ne soient l'objet d'aucune attention et sont mêmes qualifiés d'hérétiques, des groupes nazaréens et elkasaïtes sont signalés encore au Ve siècle au-delà du Jourdain à l'est de la Galilée et en Arabie ghassanide à l'est de la mer Morte. Il n'est pas impossible qu'ils aient aussi existé plus profondément en Arabie. Pour Édouard-Marie Gallez ou Robert Eisenman le mot naçara du Coran n'avait pas le sens de « chrétiens » en général tel qu'il l'a aujourd'hui, mais désignait les nazôréens et les sabéens coraniques désignaient les sabéens-elkasaïtes. Deux groupes qui n'existent plus aujourd'hui puisque justement ils se sont fondus dans l'islam à la création duquel ceux qui se situaient en Arabie auraient participé.

Jésus dans l'ahmadisme

Une minorité musulmane apparue à la fin du XIXe siècle41 résidant dans les montagnes du Kashmir, les Ahmadis, voue à Jésus un culte tout comme aux saints de l'islam autour d'un tombeau qu'elle dit être celui de Yuz Asaf qu'elle assimile à « Jésus le Rassembleur ». Le lieu de culte est situé à Srinagar. Ce courant développe une christologie particulière selon laquelle Jésus est un prophète de Dieu qui aurait été déposé de la croix en état de coma et non mort et, une fois soigné, serait venu finir sa vie au Kashmir à l'âge de 120 ans42. La doctrine de la survie de Jésus à la crucifixion est appelée l'« évanouissement ».

Notes

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire