vendredi 20 mai 2016

Les regards multiples des Algériens de France sur l'élection

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Le 12 avril, 815 000 Algériens de France voteront pour l'élection présidentielle.

Alors que l'élection présidentielle algérienne doit avoir lieu, le 17 avril, les Algériens de France ont eux aussi la possibilité de s'exprimer dans les urnes. Depuis le 12 avril, des bureaux de vote ont été ouverts dans les représentations consulaires. Ils sont 815 000 inscrits sur les listes électorales. Mais c'est en fait très peu, rapporté à la taille de la diaspora, forte d'environ 5 millions de personnes, selon l'Association internationale de la diaspora algérienne (AIDA). La preuve d'un intérêt très distancé pour la politique algérienne et d'avis très variés.

Les immigrés des années 1960-1970 : Ce sont eux qui sont majoritairement inscrits sur les listes et qui se mobilisent le plus à chaque scrutin. La plupart se sont construit leur opinion de l'Algérie à travers leurs vacances d'été annuelles, cette bulle d'air où les petits salaires permettent soudain de se payer des plages privées. Beaucoup sont aussi des défenseurs de la « stabilité » politique – donc de la réélection de M. Bouteflika – celle-ci étant perçue, surtout aux yeux des plus âgés, comme la meilleure garantie de pouvoir jouir sereinement de leur maison au village, souvent péniblement bâtie pierre après pierre, tout au long de leur vie.
Devant le consulat de Bobigny (Seine-Saint-Denis), l'un des plus importants de France, ils sont donc nombreux, ce mardi 15 avril, à se déplacer pour voter. La plupart ont aujourd'hui dépassé les 70 ans. Certains viennent seuls, le pas hésitant, aidés d'une canne. D'autres sont accompagnés par leurs enfants. C'est le cas de Latifa Ainous, 55 ans, venue avec ses deux filles, Nassima, 27 ans et Elham, 23 ans. Latifa porte le voile, ses filles des jeans slim. Mais toutes les trois s'apprêtent à voter pour M.Bouteflika. Chaque année, la famille rentre en Algérie pour les vacances d'été, et à chaque aller-retour, elles ont le sentiment que le président sortant « modernise un peu plus le pays » : « les routes sont en meilleur état, il y a plus de magasins », décrivent-elles en cœur. Il y aurait bien des efforts à faire pour les « hôpitaux », jugent-elles. Mais pour Latifa, qui a longtemps fait des ménages, ou Nassima, qui est éducatrice jeunesse, ces vacances au « bled » sont toujours une respiration. « En plus le taux de change nous avantage ! », ajoute la jeune femme.
• Les Kabyles : Leur immigration est ancienne. On les retrouve beaucoup dans les professions libérales, notamment les cafés et les taxis. La méfiance entre Kabyles et pouvoir central algérien est historique. Les raisons sont multiples, notamment liées à la langue – différente – et à la pratique religieuse (les Kabyles sont peu pratiquants). La plupart sont donc très remontés contre M. Bouteflika, perçu comme un despote. Au point que peu sont inscrits sur les listes électorales.
Dans son café situé à côté du métro Château rouge, à Paris, Mouloud, 36 ans, chemise claire, manches retroussées, a repris avec son frère, en 2007, ce bistrot qui avait déjà été tenu pendant 28 ans par un Kabyle avant lui. « Voter pour qui ? », interroge-t-il. Il n'a pas souhaité donner son nom de famille et ne voit pas de différences entre M. Bouteflika et Ali Benflis, son principal rival. Mouloud habite en France depuis plus de vingt ans. Il n'a pas encore la nationalité française. Mais il n'a jamais eu envie de participer à une élection. Dans son café, il propose des sandwiches au saucisson, vend de l'alcool, et sait les regards de travers que cela peut lui attirer d'Algériens plus pratiquants : « Qu'est-ce que vous voulez faire avec un système qui impose cinq prières par jour et un congrès par semaine [la grande prière du vendredi] ? », résume-t-il, reprenant à son compte une expression du chanteur kabyle Lounès Matoub, assassiné en 1998.
Les immigrés qualifiés : A l'exception des étudiants, beaucoup sont arrivés à partir des années 1990. On compte dans leurs rangs des médecins, des avocats, des universitaires, des chefs d'entreprise... La plupart ont fui l'Algérie en raison de la terreur des « années noires ». Une émigration souvent traumatisante qui a développé chez eux une relation ambivalente avec l'Algérie. Ils sont rarement des grands défenseurs du bilan de M. Bouteflika, mais très peu acceptent de parler ouvertement de politique. Certains parce qu'ils ont encore des relations familiales ou d'affaires avec l'Algérie. Les autres, parce que très intégrés à la société française, ils se sont progressivement détaché des affaires intérieures du pays.
Adil, 50 ans, cadre supérieur, est ainsi l'un des rares à avoir accepté de témoigner, anonymement. Au téléphone, il ne mâche pas ses mots : « Le système algérien est mauvais. On n'a jamais su gérer la décolonisation. L'arabisation a fait baisser le niveau scolaire. Le pays est très mal géré. » Il regrette aussi qu'il n'y ait pas vraiment « une place » en Algérie pour les « émigrés ». « Si vous voulez investir, c'est la galère. A 20h, à Alger, tout est fermé. Pour les femmes, à la plage, ça reste compliqué. Sans parler des activités culturelles, c'est le désert. Les sites archéologiques sont à l'abandon, comme les musées… », liste-t-il. Adil est inscrit sur les listes électorales mais il n'ira pas voter.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2014/04/16/les-regards-multiples-des-algeriens-de-france-sur-l-election-presidentielle-algerienne_4402377_3212.html#MQQDrBIwhzRwymd1.99

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