
C’est
le premier sommet du genre en Algérie. Depuis mercredi et jusqu'à
vendredi se tient à Mostaganem le congrès mondial du soufisme. Cent
vingt oulémas d’une quarantaine de pays, représentants de ce courant
très éclaté de l’islam, sont invités par l’Union nationale des zaouïas
algériennes, proche du pouvoir en place. En 2009, des «rencontres
internationales du soufisme» s'étaient déjà tenues au Maroc. Eric
Geoffroy
(photo Kheredine Mabrouk), islamologue à l’Université de Strasbourg et lui-même soufi, revient sur les enjeux de ce rassemblement.
Quel est le poids réel de ce congrès mondial du soufisme ?
C’est une première, donc il est trop tôt le dire. Mais le soufisme
est extrêmement diversifié, il ne se réduit pas à une addition de
confréries, c’est un monde complexe. Si ce congrès pouvait être un
facteur d’unification, ce serait formidable. Car il faut que les soufis,
qui représentent un islam de paix et d’ouverture diamétralement opposé à
celui des jihadistes, se montrent davantage, s’exposent médiatiquement.
En revanche, là où je suis pessimiste, c’est que le monde arabe est
plombé par des querelles politiques ou des instrumentalisations
nationalistes : ce congrès, sous le patronage du président algérien
Bouteflika, n’y échappera pas. Paradoxalement, je crois que c’est plutôt
en Europe que l’émergence des idées en islam se jouera.
Quelle influence a le soufisme dans le monde musulman ?
Elle est plus importante qu’on ne le pense. Il y a davantage dans le
monde de sites internet soufis que salafistes, par exemple, même si on
n’en parle guère en Occident. En Algérie, les zaouïas
[écoles confrériques, ndlr]
ont un vrai poids politique. D’ailleurs, l’ancien ministre algérien
Chakib Khelil est actuellement en tournée dans ces zaouïas pour asseoir
sa légitimité, car il lorgne la succession de Bouteflika. C’est un
passage obligé. Au Sénégal, il serait impensable qu’un président soit
élu sans le parrainage de la confrérie mouride. Au Maroc, le roi est
également soutenu par l’influente confrérie Boudchichiya, par exemple.
En Egypte, on estime habituellement qu’un musulman sur six est rattaché
au soufisme. Depuis une vingtaine d’années, les ministres des Affaires
religieuses, les grands muftis et autres responsables sont d’ailleurs
souvent des personnalités soufies.
Ce retour en grâce est-il pensé pour faire barrage à un islam intégriste ?
Notre époque est marquée par un besoin de spiritualité. L’islam
traditionnel, normatif, n’y répond pas assez. Le salafisme peut alors
séduire des esprits simples. Il faut réaliser à quel point la propagande
wahhabite a opéré un lavage de cerveau chez les musulmans. Plus de
45 000 imams wahhabites ont été formés dans ce but en Arabie Saoudite !
Le soufisme est une vraie alternative. Il véhicule des valeurs de paix,
d’altérité, d’universalité. Mais les soufis ne sont pas dans une bulle
éthérée, ou noyés dans l’eau de rose, contrairement aux clichés. A
l’époque coloniale, par exemple, ils se sont battus.
Les jihadistes combattent-ils les soufis ?
Une importante fatwa d’un soufi pakistanais a condamné, il y a
quelques années, les actes de terrorisme commis au nom de l’islam. Le
commandant afghan Massoud, soufi a été tué en 2001 juste avant les
attentats du 11 Septembre. Tout oppose soufis et jihadistes, mais il n’y
a pas, à ma connaissance, de persécution visant les soufis dans les
territoires contrôlés par l’Etat islamique, par exemple. En revanche, il
y a eu de multiples destructions de tombes de saints à Tombouctou [au
Mali], au Yémen, en Tunisie… Pour les jihadistes, le soufisme est une
hétérodoxie à bannir, mais c’est un comble ! Toute la doctrine et
l’histoire de l’islam sont traversées par la présence et l’influence du
soufisme.
Célian Macé
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