Au
cours des siècles, les écrivains et les poètes ont été frappés par l'aspect
de Constantine.
Laissons-les évoquer pour nous la cité du Fantastique.
J'ai également placé
quelques liens vers des textes beaucoup plus longs.
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Constantine, la ville où l’homme est plus haut que l’aigle "
(Constantin)
"
Constantine est l'une des places les plus fortes du monde, elle domine
des plaines étendues et des vastes campagnes ensemencées de blé et d'orge
" (Edrisi, Description de l'Afrique et de l'Espagne, XIIème siècle).
"
Constantine est entourée de rochers abrupts. Le fleuve Sufegemar la contourne,
et la rive extérieure est aussi couronnée de rochers, de telle sorte que
sa vallée très encaissée forme comme un immense fossé qui défend la ville
" (Léon l'Africain, Description de l'Afrique, XVIème siècle).
"
Les féeries orientales ne pourraient imaginer une ville de guerre plus
escarpée et plus inaccessible que Constantine. " (Docteur Sédillot,
Campagne de Constantine en 1837).
"Les
deux sièges de Constantine (1836-1837)" par Ernest Mercier
- édition de 1896
"Nous jetâmes un cri universel d’admiration,
presque de terreur. Au fond d’une gorge sombre, sur la crête d’une
montagne baignant dans les derniers reflets rougeâtres d’un soleil
couchant, apparaissait cette ville fantastique, quelque chose comme
l’île volante de Gulliver.
À quel peuple est-il venu le premier dans l’esprit que l’on pouvait prendre Constantine ?"
(Alexandre Dumas, Le Véloce 1847).
Description
de Constantine extraite de " l’Algérie ",
par MM. Les capitaines du génie Rozet et Carette - 1850
"
Le Rhumel, espèce de rivière torrent, tantôt presque à sec, tantôt gonflé
outre mesure, comme presque tous les cours d'eau d'Afrique, alimenté par
les pluies d'équinoxe ou la fonte des neiges, s'est chargé de fortifier
la ville et il y a réussi mieux que Vauban. Ses infiltrations ont causé
dans le rocher une coupure de huit cents pieds de profondeur au fond de
laquelle il roule ses eaux troubles et impétueuses, tantôt à ciel ouvert,
tantôt sous des arches qu'il a évidées, et dont l'arc immense effraie
l'œil par sa hauteur. Après avoir embrassé presque circulairement
la ville et son inexpugnable rocher naturel, il change brusquement de
niveau et se précipite dans la plaine par une cascade dont les nappes
et les rejaillissements semblent avoir été copiés d'après une des plus
sauvages fantaisies de Salvatore Rosa, tant le site est âprement pittoresque
et férocement inculte.
Un pont qui, par son apparence, rappelle plutôt l'aqueduc de Ségovie et
le pont du Gard que ce que l'on entend habituellement par ce mot, plonge
jusqu'au fond du gouffre par trois superpositions d'arches extrêmement
allongées. Il a nom Alcantara, nom arabe gardé aussi par un des deux ponts
de Tolède sur le Tage. Les fondations en sont romaines, peut-être même
carthaginoises; un bas-relief représentant un éléphant qui paraît adorer
une figure de femme voilée, y est enclavé; le haut, refait plus modernement,
a dû l'être, si l'on en croit le goût et la construction, par des ingénieurs
espagnols appelés au service du Bey.
Ainsi donc, excepté du côté attaqué par le général Damrémont, la ville
est entourée par un abîme à pic; elle couronne une énorme muraille de
rochers rougeâtres où le pied de la chèvre la plus hardie ne trouverait
pas à mordre; il est aisé d'imaginer quels accidents pittoresques une
pareille situation peut produire, soit qu'on regarde Constantine d'en
bas, soit que du haut de ses murs on plonge dans le gouffre, où tournent
perpétuellement des vautours et des cigognes, ou qu'on domine ce grand
horizon de montagnes mordorées et pulvérulentes de lumière qui s'étend
à perte de vue." (Théophile Gautier, La Presse, 29 septembre 1851).
"
La seule chose importante que j'aie vue jusqu'à présent, c'est Constantine,
le pays de Jugurtha. Il y a un ravin démesuré, qui entoure la ville. C'est
une chose formidable et qui donne le vertige. Je me suis promené en dessus,
à pied, et dedans, à cheval. Des gypaètes tournoyaient dans le ciel " (Gustave Flaubert, Correspondance, 25 avril 1858).
Un
cours d'histoire sur l'antique Cirtha (Constantine-Qacentina)
de Jean-Marie Déguignet - 1863
Un
autre aspect de la vie à Constantine "La cité aérienne"
de Paul Lelu -1866
Un
long texte de Charles Fréraud, illustré de nombreuses gravures. "Visite
au Palais de Constantine" - 1877
"
Constantine, assis sur un magnifique rocher que le Rhumel et de profonds
ravins entourent d'une ceinture presque ininterrompue, se présente d'une
manière aussi pittoresque qu'originale; pourtant, vue à certaine distance,
la ville fait plutôt l'effet d'une citadelle européenne avec ses maisons
à toits en tuiles, que d'une ville orientale; l'élément oriental ne se
dégage que lorsqu'on a mis le pied dans son enceinte intérieure. "
(Tchihatchef, Espagne, Algérie et Tunisie, 1880).
"
En arrivant sur la place j'y trouve un spectacle admirable. Le brouillard
s'est levé, il se lève encore le merveilleux panorama de la vallée du
Rummel apparaît baigné de soleil, des flocons blanchâtres traînent bien
encore à mi-hauteur des montagnes; ce sont comme de longues bandes de
brume horizontalement tendues dans l'espace et des coins entiers de paysage
luisent dans l'écartement des vapeurs à des hauteurs invraisemblables,
comme détachés en plein ciel. Au milieu de cette mer de brouillard, Constantine
et son chemin de ville, taillé à même le roc, se dressent et se découpent,
tel un énorme nid d'aigle... Le Rummel ! Il faut être descendu dans le
lit du torrent pour pouvoir se faire une idée de cette horreur farouche
et grandiose, de ces eaux jaunes et comme sulfureuses roulant un continuel
tonnerre dans l'étranglement de ce couloir de roches. Hautes et verticales
comme des murailles, on pourrait se croire dans le fossé de quelque forteresse
de rêve, de celles que la fougue d'imagination d'Hugo a évoquées dans
d'épiques dessins. " (Jean Lorrain, Heures d'Afrique 1889).
"
Et voici Constantine, la cité phénomène, Constantine l'étrange, gardée,
comme par un serpent qui se roulerait à ses pieds, par le Roumel, le fantastique
Roumel, fleuve de poème qu'on croirait rêvé par Dante, fleuve d'enfer
coulant au fond d'un abîme rouge comme si les flammes éternelles l'avaient
brûlé. Il fait une île de sa ville, ce fleuve jaloux et surprenant ; il
l'entoure d'un gouffre terrible et tortueux, aux rocs éclatants et bizarres,
aux murailles droites et dentelées.
La cité, disent les Arabes, a l'air d'un burnous étendu. Ils l'appellent
Belad-el-Haoua, la cité de l'air, la cité du ravin, la cité des passions.
Elle domine des vallées admirables pleines de ruines romaines, d'aqueducs
aux arcades géantes, pleines aussi d'une merveilleuse végétation. Elle
est dominée par les hauteurs de Mansoura et de Sidi-Meçid.
Elle apparaît debout sur son roc, gardée par son fleuve, comme une reine.
Un vieux dicton la glorifie : "Bénissez, dit-il à ses habitants,
la mémoire de vos aïeux qui ont construit votre ville sur un roc. Les
corbeaux fientent ordinairement sur les gens, tandis que vous fientez
sur les corbeaux."
Les rues populeuses sont plus agitées que celles d'Alger, grouillantes
de vie, traversées sans cesse par les êtres les plus divers, par des Arabes,
des Kabyles, des Biskris, des Mzabis, des nègres, des Mauresques voilées,
des spahis rouges, des turcos bleus, des kadis graves, des officiers reluisants.
Et les marchands poussent devant eux des ânes, ces petits bourricots d'Afrique
hauts comme des chiens, des chevaux, des chameaux lents et majestueux.
Salut aux juives. Elles sont ici d'une beauté superbe, sévère et charmante.
Elles passent drapées plutôt qu'habillées, drapées en des étoffes éclatantes,
avec une incomparable science des effets, des nuances, de ce qu'il faut
pour les rendre belles. Elles vont, les bras nus depuis l'épaule, des
bras de statues qu'elles exposent hardiment au soleil ainsi que leur calme
visage aux lignes pures et droites. Et le soleil semble impuissant à mordre
cette chair polie.
Mais la gaieté de Constantine, c'est le peuple mignon des petites filles,
des toutes petites. Attifées comme pour une fête costumée, vêtues de robes
traînantes de soie bleue ou rouge, portant sur la tête de longs voiles
d'or ou d'argent, les sourcils peints, allongés comme un arc au-dessus
des deux yeux, les ongles teints, les joues et le front parfois tatoués
d'une étoile, le regard hardi et déjà provocant, attentives aux admirations,
elles trottinent, donnant la main à quelque grand Arabe, leur serviteur.
On dirait quelque nation de conte de fée, une nation de petites femmes
galantes ; car elles ont l'air femme, ces fillettes, femmes par leur toilette,
par leur coquetterie éveillée déjà, par les apprêts de leur visage. Elles
appellent de l'œil, comme les grandes ; elles sont charmantes, inquiétantes,
et irritantes comme des monstres adorables. On dirait un pensionnat de
courtisanes de dix ans de la graine d'amour qui vient d'éclore.
Mais nous voici devant le palais d'Hadj-Ahmed, un des plus complets échantillons
de l'architecture arabe, dit-on. Tous les voyageurs l'ont célébré, l'ont
comparé aux habitations des Mille et Une Nuits.
Il n'aurait rien de remarquable si les jardins intérieurs ne lui donnaient
un caractère oriental fort joli. Il faudrait un volume pour raconter les
férocités, les dilapidations, toutes les infamies de celui qui l'a construit
avec les matériaux précieux enlevés, arrachés aux riches demeures de la
ville et des environs.
Le quartier arabe de Constantine tient une moitié de la cité. Les rues
en pente, plus emmêlées, plus étroites encore que celles d'Alger, vont
jusqu'au bord du gouffre, où coule l'Oued-Roumel.
Huit ponts jadis traversaient ce précipice. Six de ces ponts sont en ruine
aujourd'hui. Un seul, d'origine romaine, nous donne encore une idée de
ce qu'il fut. Le Roumel, de place en place, disparaît sous des arches
colossales qu'il a creusées lui-même. Sur l'une d'elles, fut bâti le pont.
La voûte naturelle où passe le fleuve est élevée de quarante et un mètres,
son épaisseur est de dix-huit mètres ; les fondations de la construction
romaine sont donc à cinquante-neuf mètres au-dessus de l'eau ; et le pont
avait lui-même deux étages, deux rangées d'arches superposées sur l'arche
géante de la nature. Aujourd'hui, un pont en fer, d'une seule arche, donne
entrée dans Constantine." (Guy de Maupassant, Au Soleil, 1890).
"
Nous nous levons un peu tard aujourd'hui et lorsque nous sortons il fait
une chaleur excessive, 34° à l'ombre. Comme nous en sommes surpris, nous
apprenons que le sirocco souffle, alors pour nous, tout s'explique et
nous continuons notre promenade en recherchant l'ombre.
Constantine est une ville fort curieuse et excessivement pittoresque,
aucune autre ville au monde n'est peut-être située dans une position semblable:
c'est une véritable forteresse naturelle, bâtie sur une presqu'île formée
par le Roumel et dominée par les hauteurs de Mansoura et de Sidi-Mécid.
Elle est séparée de ces hauteurs par une grande et profonde anfractuosité,
un abîme où coule le Roumel. Le plateau sur lequel Constantine est assise,
a la forme d'un trapèze dont les angles font face aux quatre points cardinaux.
Le sol, composé de blocs calcaires dont la masse s'est détachée de la
roche voisine, forme par sa cassure un précipice de 300 mètres. Des commotions
volcaniques ont produit ce déchirement à travers lequel, de cascade en
cascade, le torrent s'est frayé un passage. Cette position accessible
par un seul côté qui relie le rocher à la terre, a donné l'idée de construire
au sommet une ville dont les minarets se détachent dans l'azur du ciel.
La rivière qui contourne la ville est d'un pittoresque achevé, elle s'en
approche par l'angle sud, passe sous le pont du Diable, près de sources
chaudes, s'engouffre ensuite dans un grand ravin le long des côtes sud-est
et nord-est, dont elle défend l'approche. Puis arrivée à la Kasba, elle
forme une suite de cascades et s'éloigne de la ville en continuant son
cours vers le nord. Cette rivière a encore cela de singulier c'est que,
à la pointe d'El-Kantara, ses eaux s'engouffrent pendant quelques instants
sous une haute voûte, réapparaissent et disparaissent de nouveau. Ces
pertes successives forment trois ponts de 50 à 100 mètres de largeur.
" (Journal de voyage de Mrs Christian et Bure, juin 1892)
La
légende de Sidi M'Hammed el Ghrab rapportée par Achille Robert
en 1900
"
Sous le ciel d'émail bleu, Constantine, après une nuit fraîche, au seuil
d'une journée brûlante, flambait. Les rues quiètes, à peine troublées
par les cris des vendeurs, s'ensevelissaient dans la lumière qui confond
aux nappes de chrome et de soufre, le sol et les maisons. Leur façade
aveuglée défend l'espace, qui toujours se rallume, les vies muettes dont
le souffle ne se mêle plus au silence. La falaise de Sidi M'Cid incrustait
dans l'azur son front gris crêté de pins. Le Djebel Ouach, avec sa balafre
verte, dévalait jusqu'aux stèles en troupeau pétrifié du cimetière juif.
Ouverts comme de larges plaies, les contreforts calcaires du plateau séchaient
au soleil leurs coulées de sang. A L'Est, la forêt de pins enflait sa
houle. Et sur le rocher triangulaire, la ville arabe menait un pèlerinage
de maisons blanches à la Djemaa Kebira, dont le minaret domine, grave
et serein comme un prophète. " (Maximilienne Heller, La Détresse
des Revanches, 1919).
"
Ne parlez pas de ville pittoresque tant que vous n'aurez pas vu Constantine.
Accrochée au flanc du ravin du Rhumel entre le gigantesque pont de pierre
de Sidi Rached et l'audacieuse passerelle jetée sur l'abîme vertigineux,
encadrée de monts verdoyants, Constantine semble avoir été bâtie par un
éditeur de cartes postales illustrées. " (Georges de la Fourchardière,
Au pays des chameaux, 1925).
"
Qu'on s'imagine une forteresse naturelle surgie comme sous la poussée
d'un volcan, au milieu d'un cirque de pierre. La place est toute prête
pour un camp retranché. Une ville militaire devait naître là. Constantine
est le type de la citadelle numide, le modèle agrandi de tous ces bords,
qui s'échelonnent sur les crêtes montagneuses du pays. Mais, ce qui excite
une réelle stupeur, c'est la forme géométrique de ces entassements rocheux,
dont le faite monte si haut que, d'en bas, on distingue à peine les bâtiments
et les travaux de défense qui les dominent. Cela tombe d'un jet perpendiculaire,
plus aérien et plus vertigineux que la chute du Rhumel, qui, au pied de
la Casbah, se précipite en cascade, à la sortie des gorges. " (Louis
Bertrand, Africa, 1933)
"
Écrasante de près comme de loin – Constantine aux camouflages tenaces,
tantôt crevasse de fleuve en pénitence, tantôt gratte-ciel solitaire au
casque noir soulevé vers l’abîme : rocher surpris par l’invasion
de fer, d'asphalte, de béton, de spectres aux liens tendus jusqu'aux cimes
du silence, encerclé entre les quatre ponts et les deux gares, sillonné
par l'énorme ascenseur entre le gouffre et la piscine, assailli à la lisière
de la forêt, battu en brèche, terrassé jusqu'à l'esplanade où se détache
la perspective des Hauts Plateaux, – cité d'attente et de menace,
toujours tentée par la décadence, secouée de transes millénaires, –
lieu de séisme et de discorde ouvert aux quatre vents par où la terre
tremble et se présente le conquérant et s'éternise la résistance […].
" (Kateb Yacine, Nedjma, 1956)
"
Cette ville était extraordinaire.
Coupée, traversée comme par une balafre par un ravin profond, sinueux,
parfois vertigineux.
Nous ne savions pas que c'était une merveille de la nature, nous vivions
notre quotidien dans une merveille de la nature et comme nous n'avions
avec nos yeux d'enfant pas de repères cela nous paraissait absolument
banal. Les gorges du Rummel ne nous impressionnaient pas, nous y vivions.
Plusieurs ponts réunissaient les deux lèvres de ces gorges permettant
de rejoindre les différents quartiers de la ville.
Ces ponts, tous différents les uns des autres m'ont connu enfant, tout
petit déjà avec mon père, plus grand ensuite, du temps béni du lycée."
(Guy Bensimon, Soleil perdu sous le pont suspendu, 2001).